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Autres nuances de gris

Publié le 12 juin 2015 par Jlk

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Le Nemrod érotomane a toujours fait rire Olga.

Nemrod a cru dominer les femmes. Ses écrits érotiques de la période suivante étaient censés dire quelque chose de décisif à ce propos, signifiant un regain de crânerie dans l’affirmation d’une indépendance phalloïde retrouvée. 

Les figures du Fouet retenu et de la Fente ignorée devaient alors structurer un nouveau Pacte amoureux, expliquait Nemrod dans le préambule à son Eros furieux, dont les proses libertines rompirent avec la période minimaliste de Quelques Petits Riens - tout cela dont se gaussaient Olga et Marie, puis Rachel et Flora, au fil de très médisants téléphonages. 

Autant Jonas avait excellé dans son gorillage du Nemrod se targuant d’humilité rurale, puis d’ancestrale sagesse terrienne, à l’époque de Quelques Petits Riens, autant Olga et ses amies s’amusèrent à persifler le néo-libertin assimilant la Femme à la Mort et se proposant conséquemment de la neutraliser par le défi glacial ou, tout au contraire, de l’enculer à cru.

Nemrod, aux estrades, se grisait de s’entendre proférer des énormités qu’il se figurait subversives en diable, naturellement reçues comme telles par les niaises et les jobards des milieux divers, sans parler des médias qui raffolèrent de ces écarts verbaux, cités jusque dans les tabloïds ou parut une fameuse image de l’écrivain nu sur un rivage torride, entre les filles-chattes Doudou et Suleika, son membre juste flouté        

Olga et la Maréchale daubèrent sur l’hypocrisie du floutage, de plus en plus répandu en ces années de croissant exhibitionnisme tous-ménages, non sans noter avec satisfaction la colère vive de Nemrod, bonnement piégé par son ostentation.

Ainsi, comme il s’était trouvé dépassé, après le succès monstre de Quelques Petits Riens et des Eloges du moindre, par le goût, devenu mode, du peu de chose, préludant à l’extension du domaine de l’insignifiance et du n’importe quoi, Nemrod découvrait-il à présent l’écoeurante banalisation de l’interdit et l’acclimatation de ce qu’il vivait encore, lui, à la façon des vrais bicandiers d’un Rabelais.      

Quoiqu’il en fût, et malgré l’ironie de la situation puisque, aussi bien, et par consentement mutuel, ils ne s’étaient plus touchés depuis des années, Olga continuait d’administrer, à l'enseigne de la florissante firme Nemrod & Co, les biens-fonds et mobiliers de son amant et ami-ennemi littérateur dont le dernier pavé de cette période, intitulé Féminaire, lui gagna soudain un nouveau public très élargi, souvent indigné d’ailleurs, de femmes entre deux âges et,pour ses parties explicitement sado-masochistes, de jeunes filles impatientes d’être ficelées, menottées à quelque radiateur à nuances grises ou même fouettées.         

Or Nemrod n’avait pas cherché réellement le scandale, Olga le savait, et même Clément Ledoux, si souvent sévère à son égard, convenait de cela que cet auteur par ailleurs si littéraire, n’est-ce pas, semblait fait pour anticiper engouements et tendances sans le vouloir vraiment, à la façon d’une sorte de médium que le succès rattrapait à son corps plus ou moins défendant, suscitant à tout coup la folle la jalousie de ses pairs.

(Extrait d'un roman en chantier)

Peinture: Leonor Fini.


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