Magazine Humeur

La bibliothèque du professeur Blequin (13)

Publié le 22 octobre 2015 par Legraoully @LeGraoullyOff

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J’ai tout un lot de livres à rendre à la médiathèque, alors c’est le moment ou jamais pour vous en parler. Allons-y gaiment !

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Axel Kahn, Pensées en chemin, Ma France, des Ardennes au pays basque, Stock, 2014 : Le périple pédestre du professeur Kahn a été largement médiatisé, mais décidément, rien ne remplace le livre pour apprécier pleinement une aventure humaine ; quand une pseudo-élite autoproclamée qui vit sous les lambris dorés a le culot démesuré de dire aux Français ce qui est bon pour eux, Axel Kahn, lui, met les mains dans le cambouis de la misère humaine et en retire une photographie saisissante de la France d’aujourd’hui, avec ses malheurs et ses zones d’ombre mais aussi ses atouts et ses gloires. Ces considérations sociologiques ne doivent cependant pas nous faire oublier l’essentiel : cet ouvrage se lit avec autant de plaisir qu’un roman d’aventures (l’auteur ne se prive d’ailleurs pas de rendre hommage à ses auteurs préférés, comme Alexandre Dumas) et prouve, si besoin était, qu’il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour vivre une expérience fascinante et en ramener des carnets de voyages passionnants. Continuez à avoir des idées comme ça, monsieur Kahn, et vous finirez centenaire !

Axel Kahn vu par votre serviteur.
Axel Kahn vu par votre serviteur.

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Amélie Nothomb, La nostalgie heureuse, Albin Michel, 2013 : En fait, si je voulais absolument trouver un livre auquel on pourrait comparer de manière pertinente celui d’Axel Kahn, ce serait peut-être le 22e ouvrage d’Amélie Nothomb : tous deux nous offrent le récit d’un périple médiatisé du point de vie de celui qui en est le héros, point de vue qu’on croit connaître alors qu’on ne connait jamais que celui de la caméra… Il s’agit en l’occurrence du voyage que la romancière a accepté de faire au Japon pour les besoins d’un documentaire destin à être diffusé sur France 5 : elle retrouve donc son pays natal profondément changé non seulement par la catastrophe de Fukushima mais aussi par la frénésie du bétonnage qui, malgré les belles paroles des écologistes d’occasion que sont les décideurs politiques, n’épargne décidément aucun pays industrialisé et assassine les souvenirs d’enfance… Ça pourrait être tragique, mais la communion de l’auteur avec le Japon est plus forte que tout et, avec Nothomb, on n’est jamais triste longtemps : je recommande tout particulièrement le passage où un moment d’extase contemplative est perturbé par une question sans intérêt que pose Pascale Clark par téléphone ; c’est toujours étonnant de voir à quel point les auteurs nés à l’étranger savent épingler les ridicules des contrées où les hasards de la vie les ont amenés à habiter…

Le Japon vu par votre serviteur.
Le Japon vu par votre serviteur.

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Cyril Massarotto, Le petit mensonge de Dieu, XO, 2014 : J’avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dans cette histoire, mais c’est sans doute parce que je n’ai pas lu Dieu est un pote à moi dont ce livre est censé être la suite… On a coutume de dire, après la mort de l’être cher, qu’il reste à jamais présent dans nos cœurs : mais qu’en penserait le cher défunt lui-même ? C’est un peu à cette question que Cyril Massarotto donne une réponse en faisant mourir son héros et en l’envoyant dans un improbable jardin d’où il peut régulièrement descendre pour visiter les vivants, sans être vu ou entendu d’eux, et dans lequel il disserte à l’infini avec son copain Dieu, non sans se fâcher régulièrement avec ce dernier qui lui révèle peu à peu des « pouvoirs » somme toute limités mais qui permettront tout de même à l’être assez ordinaire qu’il était (il fantasme sur Jennifer Lopez, pour vous donner une idée…) l’occasion de devenir le héros de sa famille. Massarotto sait sortir des sentiers battus, mais l’originalité du propos ne doit pas nous faire oublier l’émotion qui se dégage quand le héros voit son propre fils le pleurer : l’auteur a su mettre des mots sur la détresse qui nous habite tous en période de deuil et ce n’est pas le moindre de ses mérites ! À l’approche de la Toussaint, pensez-y ! Et surtout, ne vous plaignez pas trop de vos proches, vous ne savez jamais ce qui peut leur arriver…

Cyril Massarotto vu par votre serviteur.
Cyril Massarotto vu par votre serviteur.

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Jean Teulé, Le Montespan, Julliard, 2008 : En France, on a encore trop tendance à exalter l’homme qui accumule les conquêtes féminines, même et surtout s’il fait cocu un pauvre bougre ; on ne pense jamais à la détresse du pauvre homme trompé, on n’a jamais le réflexe de se dire qu’il aimait peut-être sincèrement son épouse … Il fallait un écrivain de génie pour briser ce tabou : on l’a trouvé avec le grand Jean Teulé. On a beaucoup parlé des amours de Louis XIV avec la belle marquise de Montespan mais beaucoup moins du mari de cette dernière ; tout à coup, en redonnant la parole à cet oublié de l’histoire, le génial Teulé met à nu, presqu’aussi bien qu’un La Bruyère, le ridicule d’un milieu que l’on a encore trop tendance à idéaliser, la cour du « Roi-Soleil » : on se retrouve en face d’une assemblée de gigolos poudrés et de cocottes parfumées jusqu’à l’écœurement, tous plus dégénérés les uns que les autres par des siècles de consanguinité, au cœur déjà refroidi et asséché par leur vaine ambition qui leur fait s’extasier à la moindre flatulence d’un queutard obèse et puant qui a eu la chance de pouvoir poser son cul sale sur un trône… On en vient à regretter de ne pas avoir pris la Bastille plus tôt et on se dit que finalement, le président qui doit se cacher pour aller voir sa maîtresse, c’est plutôt une preuve de progrès ! Tout ça ne doit pas nous faire oublier le plus important, à savoir l’histoire d’amour tragique du pauvre mais valeureux marquis ; même le château de ses ancêtres, où il retrouve sa famille, ne lui apportera qu’un réconfort de coute durée, on aimerait pouvoir lui ramener sa bien-aimée, sa détresse est la nôtre… Louis-Henri, je te promets que j’aurais fait mon possible pour qu’à la Révolution, on ne te coupe la tête ! On t’a déjà fait assez de mal en te brisant le cœur…

Louis XIV revu par votre serviteur.
Louis XIV revu par votre serviteur.

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Tintin : les arts et les civilisations vus par le héros d’Hergé, Géo Hors série, 2015 : Il existe deux façons d’aborder le rapport qu’Hergé a entretenu avec les autres cultures : il y en a qui ne voient pas plus loin que Tintin au Congo et crient haro sur le vilain colonialiste infatué de sa supériorité d’européen, il y en a d’autres qui préfèrent mettre en avant le profond respect des peuples dont le dessinateur aurait su faire preuve tout au long de son œuvre. Ce numéro très spécial de la célèbre revue Géo, en faisant le point, permet de nuancer ces deux points de vue : certes, Hergé a su dépasser ses erreurs de jeunesse, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il est resté un auteur de fonctions et qu’il ne faut donc en aucun cas lire ses albums comme des documents fiables pour découvrir le monde ; sa vision du monde arabe, par exemple, restera toujours très réductrice, et même dans ses chefs-d’œuvre tels que Le Lotus bleu, Le temple du soleil ou Tintin au Tibet, il ne s’est pas privé de « bricoler » avec la réalité du moment que cela fût au bénéfice de ses histoires. On ne lui jettera pas la pierre, car il n’en a pas moins fait preuve d’une immense curiosité intellectuelle, au moins égale à celle que sous-entend le métier de reporter de son héros fétiche : le monde était pour lui comme un immense cabinet de curiosités dans lequel il puisait à pleines mains pour broder ses histoires. Le rapport d’Hergé à l’art est aussi abondamment commenté, notamment grâce à une interview de Pierre Sterckx et, intéressante curiosité, la rédaction a tenté de localiser la Syldavie : on découvre alors que le pays du Sceptre d’Ottokar, bien que situé dans les Balkans, ressemble beaucoup…à la Belgique elle-même !

Hergé vu par votre ser... Oh, et puis zut !
Hergé vu par votre ser… Oh, et puis zut !

À bientôt pour de nouveaux coups de cœur littéraires.

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