LUNDI 20 FÉVRIER
– Bonjour, madame Kervella.
– Bonjour, professeur ! Quoi de neuf, cette semaine ?
– Ben déjà, j’ai fait quelque chose que je n’avais toujours pas fait : j’ai pris le fameux téléphérique de Brest.
– Ah bon, il marche ?
– Bien sûr qu’il marche ! Et dans tous les sens du terme : c’était plein de monde ! Idem pour les ateliers des Capucins, fraîchement rénovés, auxquels le téléphérique donne accès et que les Brestois se sont déjà appropriés : on y voit des jeunes faire de la danse, de la patinette, du roller… C’est souvent comme ça, à Brest : quand on lance quelque chose de nouveau, les gens râlent parce que ça coûte cher et que ça crée de l’embarras pendant quelques mois, mais une fois que c’est en place, ils sont toujours contents !
– D’un autre côté, s’approprier, comme vous dites, ce genre de lieu nouveau, ça doit leur donner l’impression de récupérer une partie de leurs impôts !
– Hum ! Bon, mettez-moi une Guinness.
MARDI 21 FÉVRIER
– Et l’affaire Théo, ça vous inspire ?
– Oui : ça m’inspire un relatif optimisme. Voyez-vous, il y a une dizaine d’années, lors de l’affaire du transformateur EDF de Clichy-sous-Bois, on pouvait encore accorder le bénéfice du doute aux policiers, on pouvait encore imaginer que les jeunes avaient vraiment quelque chose à se reprocher, on pouvait encore dire que leur mort était accidentelle… On ne peut pas avoir la même attitude vis-à-vis de cette affaire-là : quand bien même Théo serait suspect de quoi que ce soit, ça ne justifie en rien qu’un policier lui ait enfoncé sa matraque dans le cul et la thèse de l’accident ne tient pas une seconde ! Bref, on ne peut plus avoir vis-à-vis des jeunes de banlieue la même attitude méprisante qu’il y a dix ans : d’ailleurs, depuis le début de l’affaire, j’ai entendu davantage de « justice pour Théo » que de « en taule, les racailles » ! Voilà pourquoi ça m’inspire un relatif optimisme : parce que cette affaire peut au moins avoir le mérite de faire évoluer le regard des gens sur les jeunes de banlieue. Il faut arrêter de s’imaginer que ce sont tous des sauvages ! Il n’y a pas de quartiers « difficiles » il n’y a que des habitants en difficulté !
– Mouais ! Cela dit, heureusement que ce jeune homme n’a pas un nom arabe parce que je ne garantis pas que les gens feraient montre de la même empathie !
– …
MERCREDI 22 FÉVRIER
– Bon, excusez-moi… Quoi d’autre ?
– Pas grand’ chose, je ne suis pratiquement pas sorti de chez moi cette semaine… Ah, si : il y a eu la pétition lancée par les étudiants en psycho de Brest pour le maintien du master clinique, adressée directement au président de l’Université.
– Pourtant, ce président d’Université fait partie de vos amis, non ?
– Matthieu Gallou ? Il a été mon professeur et il m’avait bien aidé pour ma thèse, c’est vrai. Mais je n’ai pas signé cette pétition par hostilité contre lui, bien au contraire : je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas considéré monsieur Gallou comme un interlocuteur valable, capable de tenir compte des inquiétudes des étudiants. Ce n’est pas comme si on adressait une pétition à Donald Trump !
Matthieu Gallou vu par BlequinJEUDI 23 FÉVRIER
– Hum ! Et à part ça ?
– À part ça, je me suis encore fait engueuler pour avoir commis une maladresse qui a vexé quelqu’un : ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Vous savez, le commun des mortels acquiert assez rapidement, et sans efforts, la connaissance de certains usages sociaux, ce qui n’est pas le cas des personnes avec autisme, dont je fais partie, qui se retrouvent régulièrement en porte-à-faux vis-à-vis de certaines règles qu’ils sont censés connaître alors que personne ne les leur a jamais apprises… Mais le plus dur, ce n’est même pas d’être à côté de ses pompes en société : c’est de se faire traiter de monstre pour ça !
– Qu’est-ce que vous voulez, l’autisme, ce n’est pas écrit sur le front…
– Je sais ! Mais pourquoi y a-t-il tant de gens qui attendent d’autrui qu’il ait nécessairement un tel type de conduite ? Ce « plaisir de la surprise » dont on nous rebat les oreilles, pourquoi refuse-t-on de l’éprouver dans les interactions sociales ? Puisque la diversité est un atout, au nom de quoi tout le monde devrait-il toujours réagir de la même façon ? Les vrais handicapés, ce sont ceux qui prennent la mouche pour un oui ou pour un non et n’accordent aucune légitimité aux réactions inattendues ! Ces gens-là se croient importants, demandent à être traités avec autant d’égards que l’Aga Khan, ils pètent plus haut que leur cul…
– Au risque d’avoir un peu de merde derrière les oreilles ! Sinon, vous avez vu ? Bayrou s’est rallié à Macron…
VENDREDI 24 FÉVRIER
– Ah, le maire de Pau ne sera donc pas candidat ? Oh, quel dommage, sans ce grand homme d’État, le débat politique va perdre beaucoup de son intérêt !
– Heu… Vous êtes sérieux ? Vous le pensez ?
– BEN NON, BANANE !
SAMEDI 25 – DIMANCHE 26 FÉVRIER
– Je vous ai à peine parlé de la campagne et vous commencez déjà à être agressif… Vivement que les élections soient passées !
– Ouais, mais remarquez tout de même que j’ai trouvé de quoi alimenter la conversation alors que je ne suis pratiquement pas sorti de mon atelier de la semaine ! D’ailleurs, demain, je vais être amené à ressortir et je sens déjà que ça va être dur… Je me suis lassé de beaucoup de choses, madame Kervella : d’écrire des textes satiriques, de monter des vidéos, de sortir le soir… Mais pas de dessiner ! Je pourrais passer ma vie cloîtré dans mon atelier !
– Ça ne vous empêche pas de revenir ici tous les dimanches ! Je vous remets ça ?
– Non, je retourne dessiner… À la semaine prochaine !