Résumé de l’épisode précédent : Notre héros a réussi à interview François Hollande. Il s’apprête à quitter la librairie, mais…
Vendredi 11 mai
16h35 : J’étais sur le départ mais, après quelques secondes d’hésitation, je me suis décidé à aller jusqu’au bout de mes projets : j’exécute donc sur place une caricature de Hollande pendant qu’il continue à dédicacer. Le résultat n’est pas trop mal pour un dessin réalisé debout dans une salle bondée et surchauffée, d’autant qu’il a fallu brièvement céder le passager à un jeune garçon en fauteuil roulant (normal) et que j’ai dû encaisser les rouspétances d’une vieille (je crois que c’est la même qui m’a grillé ma place dans la file) qui se plaignait que je la gène pour prendre une photo ! Et après, on dit que les jeunes ont le monopole de l’incivilité… J’offre mon dessin à Hollande, histoire qu’il ait un souvenir original de Brest, puis je repars, satisfait du devoir accompli et soulagé de m’extraire de cette ambiance délétère où la librairie n’est plus qu’un désert hostile peuplé de dédicassivores qui n’ont rien à voir avec de « vrais » lecteurs et se ruent sur un auteur côté comme les charognards sur un cadavre… Finalement, c’est Hollande lui-même qui m’aura paru le plus sympathique, ce qui est dans la logique de son quinquennat au cours duquel ses opposants les plus farouches avaient été la Manif pour tous, le Front National, les Bonnets rouges, les fans de Dieudonné et autres néo-fachos qui, à l’époque, avaient inspiré à l’ami Jérôme ce commentaire on ne peut plus pertinent : « Être impopulaire dans un pays de cons, c’est une qualité » !
17h : Je débarque tout fier à la rédaction avec mon exemplaire dédicacé, sûr d’être accueilli avec les félicitations des journalistes. Manque de pot, ceux-ci sont absents et l’annonce de mon mini-exploit ne fait ni chaud ni froid à la personne qui m’accueille : elle qualifie même Hollande « d’abruti » ! Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement non seulement avec la dame qui l’avait appelé « le petit François » en entrant dans la librairie mais aussi avec ma récente lecture d’Acide sulfurique où l’émission Concentration est unanimement condamnée mais surtout unanimement regardée : à ce jour, je n’ai pas trouvé une seule personne qui m’ait dit du bien de François Hollande (son bilan n’a pas encore été revu à la hausse malgré les méfaits de Macron) ou de son livre que pourtant tout le monde s’arrache. En fait, les gens veulent à tout prix être au courant de ce qui alimente les conversations et il lsuffit de leur parler sans arrêt de quelque chose pour qu’ils s’y intéressent même si ça ne mérite pas dix secondes d’attention ! C’est comme ça, et pas autrement, que la télé-réalité s’est banalisée malgré la désapprobation générale (le processus a été fort bien analysé par Amélie Nothomb) que les Américains en sont arrivés à élire un président qu’ils détestent… Vous le voyez, le succès du livre de Hollande n’est pas la conséquence la plus grave de ce « suivisme » qui caractérise les gens « normaux » !
19h30 : Rentré au bercail après cette journée éprouvante, je tombe sur le journal de France 3 et je remarque une initiative louable de la rédaction de la chaîne publique. Ils ont eu la bonne idée, en effet, de rediffuser un des reportages que l’ORTF réalisait sur la vie du général De Gaulle à la veille de mai 68 : on y montrait le fort de Brégançon où le couple présidentiel était parti en week-end, les têtes à claques du coin qui trouvaient légitime que le président se repose, les commerçants qui se réjouissaient des retombées pour leurs boutiques… Devant une séquence aussi obscène, on comprend mieux pourquoi les jeunes se sont révoltés à l’époque ! Heureusement qu’on est loin de cette époque où la télé publique était à genoux ! Mais je ne comprends pas pourquoi ils ont éprouvé le besoin de coloriser ce reportage… Et c’est alors qu’une chape de plomb m’est tombée dessus : ce n’était PAS une rediffusion ! Ce reportage risible a bien été réalisé cette année et il y est question du week-end des Macron ! En 1968, Cabu avait publié dans L’enragé un dessin où l’ORTF était représentée sous la forme d’un perroquet qui craquait au grand Charles : « T’es le plus grand, t’es le plus beau, as-tu bien déjeuné Charlot » : 50 ans plus tard… Sans commentaires.
Samedi 12 mai
10h10 : J’apprends la mort de Gérard Genette. Je me suis souvent référé à ses Palimpsestes pour mes recherches, notamment sur Albert Camus et même sur Raymond Calbuth : ça fait drôle, d’y penser, c’est comme si une partie de moi-même disparaissait, j’arrête là, ça ne me conduira qu’à enfiler les clichés comme des perles.
15h : Sortie au château de Kerjean pour visiter l’exposition consacrée à la beauté à la renaissance. Dans les murs de cette bâtisse, on oublie presque qu’on est en Bretagne, on se croit dans un château de la Loire ! Concernant l’expo, ce qui me marque le plus, c’est évidemment l’évocation des cosmétiques composés en partie de produits dangereux : pour avoir un teint conforme aux canons de l’époque, les dames se mettaient sur la figure des fards qui contenaient assez de plomb pour attraper le saturnisme ! Je ne suis pourtant qu’à moitié étonné : il n’y a pas si longtemps encore, les belles se pomponnaient au radium ! D’ailleurs, encore aujourd’hui, beauté n’est pas forcément synonyme de santé : non seulement la composition des maquillages modernes est sûrement plus que douteuse mais, en plus, notre époque peut s’enorgueillir d’avoir érigé au rang d’idéal de beauté des corps maladifs ! Quand on voit les mannequins des pays de l’Est qui font la promotion des maillots de bain ou des sous-vêtements, on se dit que la famine ne s’arrange pas dans l’ancien bloc communiste, ce qui ne dissuade pourtant pas certaines femmes, et pas forcément des jeunes filles, à s’infliger mille tortures pour ressembler à ça ! De façon générale, il est étonnant de voir à quel point l’homme est prêt à se pourrir la vie pour des raisons esthétiques : il suffit de repenser à tous les produits nocifs dont on pulvérise nos intérieurs sous prétexte de les « nettoyer » ! Plutôt mort que sale, c’est ça ?
Dimanche 13 mai
15h : J’assiste à la répétition de Walls : la solution, un spectacle auquel j’ai modestement contribué en tant qu’auteur. J’avais notamment écrit les discours de deux politiciens démagogues et j’ai ainsi eu la surprise de constater que les deux rôles ont été confiés à des femmes : c’était probablement un hasard dû à la disponibilité des comédien(ne)s, mais le hasard fait bien les choses car, dans ces bouches féminines, c’est encore pire, encore plus effrayant… Mais que ça ne vous dissuade pas de venir voir la première représentation, le dimanche 20 mai à 16h, à l’entrée du pont Albert Louppe (le pont piéton de Plougastel) sur la rive de Plougastel-Daoulas.