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Réflexions sur les conflits de générations (2/2)

Publié le 13 mai 2018 par Legraoully @LeGraoullyOff
Réflexions sur les conflits de générations (2/2)Le dessin de couverture des « Aventures de Kawi » dû à votre serviteur.

Après deux semaines d’interruption, voici la suite et la fin de nos réflexions inspirées par l’ouvrage autobiographique de Guillaume Alemany, Les aventures de Kawi. Pour (re)lire la première partie de cet article, cliquer sur ce lien.

J’ai souvent eu l’intuition que l’un des facteurs favorisant l’émergence des conflits de générations était la différence d’échelle temporelle. En effet, on ne perçoit pas l’écoulement du temps de la même façon tout au long de sa vie : le temps paraîtra plus long à une personne de 20 ans qu’à une personne de 50. Les mathématiques suffisent presque à expliquer le phénomène : en effet, une même unité de temps représentera une fraction plus ou moins longue de la vie d’un homme en fonction de l’étendue qu’aura déjà ladite vie ; ainsi, une année représente encore un vingtième de la vie d’une personne de 20 ans et ne représente déjà plus qu’un cinquantième de la vie d’un(e) quinquagénaire ! La vitesse à laquelle s’écoule le temps, telle qu’elle est perçue par un individu, est donc directement proportionnelle à l’âge dudit individu.

De ce fait, les parents sont toujours surpris par la vitesse à laquelle les enfants grandissent : nous gardons tous en mémoire le souvenir d’une croissance qui nous avait paru interminable et celle de nos héritiers nous parait fulgurante par rapport à la nôtre ; bien entendu, ce n’est là qu’une illusion provoquée par l’évolution de notre perception du temps : l’enfant, lui, perçoit comme sa croissance comme tout aussi longue que nous à son âge. Les parents et leurs enfants sont donc en perpétuel décalage chronologique. Ce décalage peut expliquer partiellement la relative légèreté dont font montre certains adultes vis-à-vis des troubles liées à la puberté qui se manifestent durant une période très courte aux yeux de l’adulte et très longue aux yeux de l’adolescent. Tous les adultes n’ont pas oublié qu’ils ont été eux aussi des adolescents et ont eu à subir les mêmes épreuves : mais beaucoup ont oublié qu’eux aussi trouvaient le temps plus long qu’aujourd’hui : ils ont vu leurs enfants entrer dans l’adolescence si rapidement qu’ils s’imaginent qu’ils en sortiront à la même vitesse, ce qui n’est vrai que de leur point de vue.

Ce malentendu chronologique ne disparait pas avec l’adolescence : quand l’enfant devient un jeune adulte, la question des troubles de la puberté ne se pose généralement plus mais elle laisse place à celle de l’insertion professionnelle. Les parents de Guillaume Alemany semblent avoir été pressés de voir leur fils trouver sa voie et accéder à un emploi : les inquiétudes suscitées par l’état du marché du travail ne sont pas seules à jouer sur cet empressement parental provoqué également par l’angoisse générée par l’apparente rapidité avec lequel l’enfant est devenu adulte. En d’autres termes, les parents ont vu leur enfant grandir si vite qu’ils s’attendent à ce qu’il soit « casé » à la même vitesse, ce qui peut les amener à le pousser vers une voie qui ne l’intéresse pas mais qui leur parait, à tort ou à raison, garantir un emploi stable :

Réflexions sur les conflits de générations (2/2)Guillaume Alemany

« Ayant validé un Bac STT Gestion (avec à peine un peu plus de 10 de moyenne), mes parents espéraient de tout cœur me voir obtenir un BTS Compta-Gestion, ce qui représente le parcours classique à partir de mon Bac, et devenir comptable à la suite de cela. Cependant, un problème d’une certaine importance allait à l’encontre de ces plans : Je détestais la comptabilité !!! Ma passion, c’était et c’est toujours l’Histoire (…). Le problème était que, selon mes parents, un diplôme en histoire ne sert pas à grand-chose. » ALEMANY Guillaume, Les aventures de Kawi, L’Harmattan, Paris, 2017

Les parents de Guillaume manifestent ici une vision à court terme : certes, un diplôme d’histoire n’est pas d’une utilité immédiate sur le marché du travail mais, pour une personne authentiquement passionnée, l’étude de l’histoire peut être un projet de vie à long terme. Du point de vue du jeune adulte, le temps ne s’écoule pas encore assez vite pour lui interdire de monter des projets à long terme et de prendre son temps pour s’insérer professionnellement ; du point de vue de ses aînés, le temps s’écoule déjà trop vite et la question de cette insertion est très urgente, d’autant que les parents sous-estiment toujours peu ou prou les ressources auxquelles leur enfant peut encore compter du fait de sa jeunesse.

La plupart des conflits de générations s’enracinent donc dans ce double malentendu entre les parents et leurs enfants : non seulement l’enfant introduit toujours une nouveauté radicale que la génération précédente ne pouvait en aucun cas anticiper mais, de surcroît, le temps s’écoule plus lentement pour lui que pour ses aînés – la question de l’insertion professionnelle n’étant que la partie émergée de ce décalage chronologique qui n’a aucune commune avec le décalage horaire entre deux étrangers. Beaucoup de personnes auraient peut-être une vie de famille plus apaisée si elles pouvaient se rappeler que leur enfant ne leur ressemblera jamais et n’aura probablement jamais la même perception du temps. Peut-être.


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