En ce jour de rentrée des classes, j’aimerais abuser de l’entière liberté dont je bénéficie sur ce site pour prendre la défense d’un personnage clé du folklore scolaire dont on ne parle habituellement que pour le dénigrer, l’injurier, le vouer aux gémonies. Je ne parle pas du cancre qui a déjà fait l’objet de l’excellent ouvrage Chagrin d’école dû à Daniel Pennac, mais plutôt de son reflet inversé. D’abord, un petit détour…
Oh ! Combien d’enseignants, combien de professeurs, qui ont quitté joyeux leurs IUFM, ont vu leurs illusions peu à peu s’évanouir ! Prenez un jeune prof, frais émoulu, qui vient de terminer sa formation et s’en va grossir les rangs des employés de l’éducation nationale : il se réjouit d’avance de satisfaire la soif de savoir de ses élèves et se promet de ne pas commettre les erreurs de ses anciens professeurs. Seulement voilà : sur place, la soif de savoir des jeunes ne pas êtres aussi inextinguible qu’il se l’imaginait. En fait, il se retrouve face à des classes bourrées de petits branleurs qui n’ouvrent jamais un livre, passent leur temps libre devant la télé – pardon, je date : sur les réseaux sociaux, et se foutent complètement de ses cours. Admettons qu’il n’ait pas été découragé au bout de quelques semaines ; admettons encore qu’il ait gardé espoir, à l’issue d’une année passée avec une classe de blaireaux, se disant que la suivante sera peut-être différente : bien entendu, elle se révèle être du même acabit voire encore pire. Et puis il s’en mange une troisième. Et puis une quatrième, une cinquième… Admettons qu’il n’ait pas finalement décidé de se reconvertir avant d’être trop vieux : il n’en finira pas moins, comme la plupart de ses collègues, à abandonner tout espoir d’élever l’âme de la jeunesse et deviendra ce qu’il ne voulait surtout pas devenir, un fonctionnaire qui donne son cours comme une vielle pute donne son corps.
Jusqu’au jour où il rencontre un cas social : l’élève qui s’intéresse vraiment à son cours. Pas forcément le bon élève, non, mais celui qui participe, celui qui écoute, qui ne passe pas son temps à bavarder avec ses voisins ou à pianoter sur son smartphone et qui prend même du plaisir à échanger avec l’enseignant. Que croyez-vous que fera ce dernier ? Et oui : se sentant enfin récompensé pour sa patience par l’entrée dans sa vie de cet « élève-friandise » (pour reprendre une expression de Daniel Pennac), il va inévitablement le favoriser d’une manière ou d’une autre. Pas forcément en lui réservant les meilleurs notes, non (de toute façon, ce genre d’élève se passe fort bien d’un coup de pouce du prof pour avoir des notes correctes) mais par exemple en étant plus « coulant » avec lui quand il se laisse aller à un écart de conduite, en lui donnant des conseils personnels ou, tout simplement, en lui adressant un sourire. Un sourire du prof : voilà qui suffit, pour le potache moyen, à cataloguer irrémédiablement un camarade parmi les traîtres à la solde de l’ennemi, c’est-à-dire les adultes en général et les enseignants en particulier. Ainsi le prof a-t-il créé, aux yeux de ses élèves, un monstre : le chouchou.
Vous aurez remarqué qu’en voulant prendre la défense du chouchou, j’aurai surtout parlé du professeur. De fait, c’est là que je voulais en venir : s’il y a du favoritisme au sein d’une classe, ce n’est pas forcément la faute de l’élève qui en bénéficie. Le chouchou n’est pas forcément un fayot : en quoi est-ce une faute morale de s’intéresser à un cours ? Le problème, c’est justement que ça se retourne contre le « chouchou » car les petits « rebelles » n’auront jamais le courage de reprocher au professeur d’être injuste et préfèrent faire payer leur camarade, présumé coupable de lèche-cul. En créant le chouchou, le prof aura donc créé aussi la tête de Turc de la classe, celui qui souffre de ce harcèlement scolaire dont on se décide enfin à parler avec au moins 50 ans de retard…
Bref, le « chouchou » est une victime : victime de l’intolérance de ses camarades, victime de l’injustice du professeur et, surtout, victime d’un système scolaire qui a laissé l’attitude de l’élève insolent et dissipé devenir la norme au point de réduite l’élève « sérieux » à l’état de paria ! Mais je m’énerve… De toute façon, je veux simplement dire : arrêtez de dénigrer le chouchou ! Ce n’est pas de sa faute s’il est favorisé ! Quand vous aurez envie de traiter un gamin de « sale chouchou », remplacez le mot « chouchou » par n’importe quelle autre caractéristique non-choisie qui peut échoir à votre prochain comme « noir », « arabe », handicapé », « homosexue » voire « juif’ et vous verrez où ça coince…