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Reiser est vivant !

Publié le 01 février 2019 par Legraoully @LeGraoullyOff

Reiser est vivant !Message aux rédacteurs de dictionnaires : si vous ne trouvez pas d’exemple pour la définition du mot « scandale », j’en ai un tout trouvé, à savoir le fait que tous les tomes de la collection « Les années Reiser » éditée par Albin Michel dans les années 1990 ne soient pas disponibles dans le commerce à un prix raisonnable.

Comme je planche actuellement, pour une revue universitaire, sur un article consacré à ce génie trop tôt disparu (bonjour le cliché), j’ai essayé de me procurer les quatre tomes de la collection qui me manquaient encore : je n’ai pu en dégoter que deux, qui plus est dans un état passable ; sur les deux derniers volumes me faisant défaut, l’un est carrément introuvable, l’autre s’échange à au moins cinquante euros ! Je comprends mieux ce qu’avait dû ressentir l’ami Siné devant l’exposition consacrée à Reiser au centre Pompidou, dont la présentation minable l’avait tellement déçu… Bordel à cul, cette situation est intolérable ! C’est comme si on reléguait Picasso dans l’arrière-boutique des musées !

Reiser est vivant !

Quand j’ai eu l’idée stupide de voir le jour, Reiser était déjà mort depuis cinq ans : malgré l’éloignement chronologique, chaque fois que je découvre les dessins que lui inspirait l’actualité en son temps, je ris toujours avec le même bon cœur ; il a réussi à être intemporel, et ce n’est pas donné à n’importe quel dessinateur de presse ! Il y a peu, j’ai renoncé à partager mes dessins sur les groupes Facebook, affligé par la médiocrité et la pauvreté d’invention de la plupart de mes « collègues » qui y sévissent : il m’est arrivé d’en voir dix d’affilée dont le propos se résumait à « Macron, salaud » : c’est vrai que Macron est un enfoiré, mais ne dire que ça ne mène pas loin… Reiser se serait sûrement contrefoutu de Macron comme il se désintéressait de la plupart des grandes gueules politiques qui sévissait de son vivant : il dessina rarement Giscard et jamais Mitterrand, conscient que c’était moins les individus exerçant le pouvoir qu’il fallait dénoncer que les problèmes qui demeuraient d’une année sur l’autre. Là était sa force : il tirait le durable de l’éphémère, autant dire l’universel du particulier, et là la marque des grands artistes et des grands penseurs.

Reiser est vivant !
J’ai toujours été chagriné qu’on ne retienne de Reiser que la grosse rigolade et les blagues de cul : si la sexualité prend une place importante dans son œuvre, c’est qu’elle occupe au moins le même espace dans la vie de tout homme ; d’accord, on rit beaucoup, mais le rire de Reiser n’est jamais débilitant. On peut avoir honte d’avoir ri à une blague de Baffie (il parait que ça arrive), on n’a jamais honte d’avoir ri à une histoire de Reiser. Cavanna, son père spirituel, le définissait comme « une explosion tellement violente qu’on oublie d’admirer la virtuosité du trait » ; mais Reiser était encore plus qu’une explosion : il était une révolution. Révolution esthétique d’abord : il s’est affranchi des canons du dessin comme nul ne l’avait fait avant lui, il s’est libéré d’un corset qui ne l’aurait jamais laissé dépasser et transcender la beauté classique comme il l’a fait ; il dessinait mieux les femmes que Manara et Botticelli réunis, on entendait les cris de ses personnages, on sentait leurs odeurs, on entrait dans leur peau, on éprouvait toutes leurs sensations en temps réel !

Reiser est vivant !

Un bel exemple de la créativité de Reiser.

Révolution au sens large ensuite : pas la révolution-défouloir où la populace gueule un bon coup puis remplace les pourris au pouvoir par d’autres pourris, non, la révolution permanente que mène l’esprit qui n’est pas prisonnier de l’opinion ; pour Reiser, changer le monde n’était pas l’affaire d’un « jour de clarté » ou d’un « grand soir » mais une opération continue. La curiosité toujours aux aguets, il était constamment à l’affut de l’idée simple mais géniale pour résoudre les problèmes : quasiment toutes ses inventions pourraient être réalisées, elles amélioreraient notre quotidien à peu de frais ! « On vit une époque formidable » clamait-il en pleine crise : oui, les époques de crise sont formidables justement parce qu’elles nous offrent l’opportunité de bâtir un monde nouveau sur les ruines d’un vieux monde foireux, et il l’avait bien compris. C’était en tout cas plus constructif que chouiner parce qu’on ne pouvait plus gaspiller et polluer sans remords.

Bref, vous m’avez compris : il FAUT rééditer l’intégrale de Reiser de toute urgence, c’est une question de salubrité publique ! Wolinski disait que Reiser avait décrassé la tête de toute une génération : j’ajouterai qu’il est tellement intemporel qu’il peut décrasser encore des milliers de générations ! Et il y a urgence !


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