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Le journal du professeur Blequin (155)

Publié le 26 avril 2021 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le journal du professeur Blequin (155)Lundi 19 avril

11h30 : Au cours de ma promenade champêtre matinale, je me suis fait la remarque que je risquais d’avoir bientôt des nouvelles des impôts ; de fait, ça ne rate pas : à peine rentré, je reçois un mail m’annonçant que le service de déclaration en ligne est ouvert… J’en ai marre d’avoir toujours raison ! Certes, ce n’est pas encore cette année que je vais être imposable, mais rien à faire : les formalités administratives, quelles qu’elles soient, me donnent de l’urticaire. Quand ils nous avaient parlé de « déclaration préremplie » et de « prélèvement à la source », j’avais pensais que nous n’aurions plus rien à faire, mais nous nous sommes faits avoir une fois de plus… Qu’ils nous prennent tout le fric qu’ils veulent, mais qu’ils ne nous fassent plus remplir de formulaires rébarbatifs bourrés d’expressions incompréhensibles !

Le journal du professeur Blequin (155)

13h : Je reçois un courrier d’une admiratrice du Sud-Ouest qui souhaite me commander un exemplaire de mon dernier album. Jusqu’ici, rien d’anormal, sauf que cette jeune femme, dans sa missive, n’a pas pu s’empêcher d’adresser un « bonjour au variant breton » ! Visiblement, cette histoire est montée à la tête d’un peu tous les Français, à croire que ce variant, alors même qu’il est beaucoup moins dangereux que ce qu’on avait d’abord cru, vient combler un manque aux yeux de nos compatriotes : tout se passe comme si les gens avaient été choqués que les Bretons, malgré la réputation de paysans sans hygiène qui leur colle à la peau, soient moins touchés par le virus, de sorte que le « variant breton » viendrait satisfaire une attente, consciente ou inconsciente… Mais si tel est le cas, tous ces braves gens ne peuvent être que déçus : en Bretagne, entre l’alcoolisme et les suicides, personne ne vit assez vieux pour pouvoir crever du Covid-19 ! Bon, plus sérieusement : si cette histoire de variant breton peut faire fuir les gros cons de touristes qui se croient en pays conquis sous prétexte qu’ils amènent leur fric, ce sera déjà ça de gagné !

Le journal du professeur Blequin (155)
Mardi 20 avril

10h30 : Passage à la pharmacie pour m’acheter de quoi lutter contre une toux persistante – je préfère éviter d’aller chez le médecin : quel que soit le praticien que je consulte, il m’imposera la torture du test PCR et une semaine de réclusion dans ma chambre avant que j’aie le temps de lui expliquer que je respire très bien, que je n’ai pas de fièvre, que je n’ai pas perdu mon odorat et que je n’ai rien refilé à mes parents que j’embrasse pourtant tous les soirs… Enfin bref : à la pharmacie, je suis bien surpris de constater qu’un ruban blanc et rouge comme on peut en trouver autour de certains chantiers, empêche d’approcher le comptoir de plus d’un mètre ! Et comme le pharmacien est bien obligé de s’approcher pour me rendre la monnaie avec sa grosse main, ce dispositif est d’une inutilité flagrante… De façon générale, je me demande si la moitié des dispositions qui ont été prises face à l’épidémie ont une autre utilité que celle de se donner bonne conscience et éviter des procès pour « mise en danger de la vie d’autrui » que ne manqueraient pas d’intenter les hypocondriaques procéduriers (une race qui n’est pas en voie d’extinction, bien au contraire) ?

Mercredi 21 avril

Le journal du professeur Blequin (155)

13h30 : Le 21 avril est forcément une date de sinistre mémoire pour tout républicain digne de ce nom… Je n’avais pas 14 ans quand j’ai assisté à ce triomphe d’une idéologie infamante ; j’ai alors perdu beaucoup d’illusions sur mes compatriotes et ce traumatisme a largement contribué au développement de ma vocation de satiriste, d’autant que je ne peux malheureusement pas en parler au passé : sauf qu’à l’époque, au moins, je pouvais encore appeler à voter contre l’extrême-droite sans me faire traiter systématiquement de privilégié, de bien-pensant voire d’ennemi du peuple ! Je suis sans doute encore trop jeune pour me laisser aller à la nostalgie, mais il semble qu’il n’y a pas si longtemps encore, tous mes compatriotes n’étaient pas devenus complètement dingues…

Le journal du professeur Blequin (155)
Jeudi 22 avril

14h : Aujourd’hui, quand on parle de la prohibition qui sévissait aux Etats-Unis dans les années 1920, tout le monde en parle avec un sourire en coin et il y a de quoi ; en effet, on pourrait résumer l’affaire ainsi : « un jour, les autorités américaines se sont aperçues que l’alcool était dangereux pour la santé, alors elles l’ont interdit à leurs administrés qui se sont mis à boire de plus belle dans la clandestinité ». Pourquoi est-ce que j’en parle ? Parce qu’aujourd’hui, la polémique sur les dîners clandestins enfle et on pourrait résumer l’affaire ainsi : « un jour, les autorités européennes se sont aperçues qu’on risquait de se transmettre des virus en fréquentant ses amis, alors elles l’ont interdit à leurs administrés qui se sont mis à se rencontrer de plus belle dans la clandestinité ». Et oui, au fond, c’est le même problème : tant que les gouvernants n’auront pas compris qu’on ne résout pas à coups de trique les questions de santé publique, il y aura toujours des gens qui se feront plaisir malgré les interdictions… Et c’est tant mieux ! D’ailleurs, personnellement, entre picoler dans un speakeasy au nez et à la barbe de ce con d’Eliott Ness et brouter en compagnie de mangeurs de tofu gais comme des bénédictins, mon choix est vite fait !

Vendredi 23 avril

Le journal du professeur Blequin (155)

10h30 : Nouvelle marche dans la campagne environnant la commune de mes parents ; le port du masque n’y est pas obligatoire, ce qui n’empêche pas certains dégueulasses d’en jeter en pleine nature… J’ai la nausée rien qu’à voir ça ! Le type qui fait ça aura peut-être évité d’être contaminé pendant quelques minutes (ce qui est plus qu’hypothétique étant donnée la faible fréquentation de ces parages), mais il aura surtout salopé l’environnement pour des années ! Qu’on ne me dise plus après ça que porter une masque est une preuve de civisme : au mieux, c’est une preuve de peur de gendarme, au pire, c’est une preuve d’hypocondrie, point barre.

Le journal du professeur Blequin (155)
La vraie tête de turc d’Aristophane : Cléon, une sorte de Donald Trump antique…

14h : Je termine la relecture des 75 pages qu’un jeune doctorant m’avait demandé de corriger. Je suis agréablement surpris par son analyse des Nuées d’Aristophane : on n’a pas manqué d’accuser le grand poète comique d’être responsable de la condamnation à mort de Socrate, tant il est vrai qu’il est commode d’accuser les humoristes de tous les maux de la société – pensons à Offenbach à qui on a reproché d’avoir contribué à la débâcle de 1870 ou aux Guignols de l’info qui auraient « fait élire Chirac ». Seulement voilà : comment expliquer que Platon n’ait pas manifesté de haine contre Aristophane dans le Banquet ? En fait, l’explication est simple : le personnage principal des Nuées n’était pas Socrate mais Strepsiade, vieil Athénien radin qui attend du philosophe qu’il lui apprenne à sortir vainqueur d’un procès ; par conséquent, Aristophane, même s’il caricaturait l’enseignement de Socrate, dénonçait moins la philosophie que l’incompréhension dont elle était l’objet à Athènes, et la conclusion de sa pièce, tragique pour Socrate, n’exprime pas le désir de l’auteur mais bien ses craintes ! En clair, Aristophane n’a jamais souhaité la perte de Socrate mais il la redoutait parce qu’il connaissait trop bien ses concitoyens athéniens et leurs préjugés. L’humoriste a toujours raison…

Samedi 24 avril

Le journal du professeur Blequin (155)

19h : J’ai vent de cette fonctionnaire de police (qui n’était même pas policière à proprement parler) assassinée au commissariat par un branleur qui criait « Allah akbar »… Elle était présidente d’un club de musique country : franchement, ce n’est pas parce qu’on a des goûts de chiotte en musique qu’on mérite de mourir ! Cela dit, je m’étonne que son sort émeuve mes compatriotes qui sont toujours prompts à cracher sur ces « salauds de fainéants de fonctionnaires » : quand on tient à longueur de journée un discours anti-fonctionnaires, il ne faut pas s’étonner de trouver, en bout de chaîne, un ou plusieurs dingues qui se sentent autorisés à achever le boulot et à traduire en gestes ce qu’on exprime en paroles depuis des années ! Bon, plus sérieusement : cet acte est bien entendu indéfendable et je ne vais pas pleurer sur le sort de cet imbécile qui s’est finalement fait canarder à son tour, d’autant que sa bêtise va relancer la haine anti-musulmane en France à une heure où on aurait plutôt besoin, au contraire, de se serrer les coudes… Je suis épuisé, pas vous ?


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