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Le journal du professeur Blequin (179)

Publié le 13 novembre 2021 par Legraoully @LeGraoullyOff
Le journal du professeur Blequin (179)Jiro Taniguichi

Dimanche 7 novembre

15h : Mettant à profit un moment de calme, je lis Quartier lointain de Jiro Taniguichi, dont j’avais entendu parler et qui m’avait été prêté par une amie depuis déjà quelques semaines. Je ne suis pas familier de la bande dessinée japonaise, mais il faut être ouvert à tout et Taniguichi est, en toute objectivité, un grand auteur dont l’œuvre a une portée universelle : il est à peu près certain que tout le monde a eu, au moins une fois, l’envie plus ou moins avouée de revivre son adolescence afin de ne plus reproduire les mêmes erreurs… Du moins, c’est ce que je dirais si j’avais été un individu normal : pour ma part, je suis à ce point convaincu de n’avoir été qu’une victime innocente que j’assume entièrement la conduite que j’ai eue pendant mes années de collège et pour rien au monde je ne vivrais une seconde fois mes quatorze ans ! Enfin, je fois bien être le seul… Quand le héros séduit la plus jolie fille de sa classe, qui est attirée par sa maturité intellectuelle, je ne peux pas m’empêcher de repenser à Phil Casoar qui s’était fait passer pour un lycéen dans le cadre d’un reportage publié dans le magazine Actuel et avait pris sa revanche sur son passé de puceau en séduisant une blonde sculpturale… Mais l’important n’est pas là : Quartier lointain, c’est d’abord l’histoire d’un mystère, celui d’un père qui a abandonné du jour au lendemain une famille qui semblait le rendre heureux mais n’avait été en fait qu’un pis-aller compensant les pertes générées par la guerre ; à cet égard, on peut y voir une métaphore de la situation du Japon moderne qui a bâti sa prospérité sur les ruines de sa défaite militaire… Alors, Quartier lointain, un chef-d’œuvre ? Ben évidemment, hé, banane !

Lundi 8 novembre

Le journal du professeur Blequin (179)

10h : Tout content de m’être levé à une heure normale, c’est-à-dire ni trop tôt ni trop tard, je sors et constate que les affiches de Zemmour ont fleuri… Je ne peux pas m’empêcher, je les arrache ! Une nouvelle fois, soit la colle est de mauvaise qualité, soit les supporters du roquet ont sous-estimé l’humidité, toujours est-il que je n’ai aucun mal à exécuter ce que je considère comme une œuvre de salubrité publique : non content d’avoir des idées pourries, Zemmour est si peu photogénique que ses affiches feraient fuir une tribu de rats d’égout ! Sur les photos, on a vraiment l’impression qu’il est prêt à vous poignarder ! Autant je peux admettre (à défaut d’accepter) qu’on puisse être séduit par la forte personnalité de bon vivant d’un Trump ou d’un Le Pen (père ou fille), autant je ne vois strictement rien d’attirant dans la dégaine de croque-mort végétarien de cet être abject ! Au fond, les électeurs de Zemmour sont comme les suicidaires : ils ne peuvent pas sincèrement croire que leur geste améliorera quoi que ce soit, mais ils en veulent tellement aux gens qui ne partagent pas leur malheur qu’ils tiennent à leur pourrir la vie…

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L’EPS telle que je l’ai vécue au collège…

10h30 : Je débarque à Kerichen, désireux de faire un reportage sur la vie dans les modulaires où se tiennent actuellement les cours du lycée classique et moderne, l’ancien bâtiment ayant été détruit pour laisser la place à un internat. J’ai un petit pincement quand j’entre dans cette cité scolaire où j’ai quand même passé cinq ans de ma vie, mais quand je constate que l’édifice où j’ai passé mes années de lycée n’est effectivement plus qu’un souvenir, je ne suis pas plus nostalgique que ça ; je n’arrive pas à être vraiment attaché au bâti, en tout cas pas au point de déplorer la destruction d’un bâtiment vétuste, je pense que la destruction des pavillons Baltard ne m’aurait pas indigné et que j’aurais été d’accord avec Desproges : « Rien n’est plus incertain que le sens architectural des Parisiens. On a vu les mêmes honnir le Sacré-Cœur et s’esbaudir à Beaubourg après avoir déchiré leur T-shirt en pleurant des larmes de sang devant les ferrailleries utilitaires de M. Baltard. » Toujours est-il que les bâtiments provisoires qui abritent aujourd’hui ce qui a été « mon » lycée ne me semblent pas repoussants, il ne doit pas être plus déprimant d’y pénétrer que d’entrer dans n’importe quel établissement scolaire. A l’entrée, je croise mon ancien professeur d’EPS, qui fait sa dernière année avant la retraite : je taille une bavette avec lui, heureux de revoir le premier prof de sport que j’ai eu à ne pas avoir été un emmerdeur ; il est content de partir en bonne santé, mais le contact avec les élèves va lui manquer. Partir en retraite est une source de dilemme, quand on aime son métier…

10h45 : Une fois seul à nouveau, je pénètre dans le bâtiment de la vie scolaire. Je suis à deux doigts de m’indigner devant la puérilité des affiches incitant au port du masque : « les super-héros portent des masques »… Comment voulez-vous que les adolescents prennent confiance en eux si on s’obstine à les infantiliser ? je croise quatre jeunes filles de seconde : je les interroge, mais elles n’ont rien à me dire. Interroger des adolescent(e)s est toujours délicat et je ne suis pas sûr de bien m’y prendre… De toute façon, il est évident que ces demoiselles qui viennent d’entrer en lycée n’ont jamais connu que les modulaires et ne peuvent donc pas comparer avec l’ancien bâtiment, et puis je dois avouer moi-même que si je ne savais pas que nous sommes dans des bâtiments provisoires, je l’oublierais assez vite ! J’entre dans la vie scolaire, j’explique aux deux surveillants de service, une jeune femme et un homme jeune, les raisons de ma venue : on me fait comprendre que je devrais demander une autorisation à la direction… La fille m’indique la route à prendre pour gagner les bureaux concernés et je suis à un cheveu de lui dire « Te fatigue pas, ma poulette, quand on m’explique abstraitement un chemin, je ne comprends jamais rien ! » Je prends donc poliment congé et je décide de mettre un pied devant l’autre, espérant croiser un responsable ou, à défaut, une autre vielle connaissance…

10h50 : Mes pas m’ont conduit au bâtiment, qui n’est pas près d’être démoli, où j’ai passé mes années de classe prépa. Je n’éprouve ni nostalgie ni angoisse, conscient que je n’ai aucune chance d’y croiser les deux seuls profs à m’avoir vraiment fait souffrir jadis, mais je tombe sur le bureau de la proviseur-adjointe : je frappe à la porte sans trop oser y croire, et je suis accueilli poliment par une femme à la mine sévère que je n’ai jamais vue mais qui me rappelle la femme qui occupait son poste quand j’étais élève en ces lieux. C’est à croire que toutes les femmes exerçant la fonction de proviseur-adjoint sont sorties du même moule ! Je lui explique les raisons de ma présence, et elle me donne les coordonnées du proviseur afin que je puisse lui demander l’autorisation nécessaire. Je sors satisfait de cette confrontation imprévue, mais je commence à me demander si ma démarche a vraiment du sens : maintenant que je connais mieux les bâtiments provisoires, je ne suis plus très sûr qu’il y ait grand’ chose à raconter…

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Dessin inspiré par le double sens du verbe « to fiddle » qui signifie non seulement « jouer du violon » mais aussi « ne rien faire ».

11h40 :  Brève entrevue avec un ami artiste qui rouspète contre le manque d’implication des petites communes : d’après lui, quand on y vient pour participer à une manifestation culturelle, on ne peut attendre aucune aide de la municipalité. J’avoue que j’hésite entre partager son indignation et dénoncer une mentalité qui fait fi de la culture et n’a d’yeux que pour le foot et la variétoche, ou alors déplorer le manque de moyens financiers dont les petites communes sont plus victimes que responsables. Peut-être les deux : même quand on a peu d’argent, on reste responsable de ses choix…

17h30 : Je ne suis toujours pas rentré ; j’ai déjeuné en ville et profité des équipements dont disposent la bibliothèque universitaire et les cafés pour travailler en attendant mon rendez-vous vespéral. Quoi qu’on en dise, il fait quand même bon vivre à Brest : une ville où une personne comme moi peut trouver si facilement des oasis de calme et de bien-être a tout de même des côtés merveilleux.

Le journal du professeur Blequin (179)
Justement, mon rendez-vous est dans une nouvelle oasis en devenir, à savoir un local où une copine et son fils vont ouvrir un restaurant consacré à une spécialité turque méconnue, le borek, avec des engagements éthiques et écologiques. J’essaie de me mettre à l’aise en m’asseyant sur un meuble métallique de récupération, ce qui produit un bruit monstrueux ! Malgré ce numéro de cirque, les co-gérants de l’établissement, qui devrait ouvrir début 2022, sont ravis de ma présence et des questions que je leur pose ; c’est dans des moments comme celui-là que je me rends compte de l’importance que me donne aux yeux des gens mon statut de correspondant de presse : je suis celui qui peut favoriser le succès de leurs initiatives, qui leur ouvre les portes de la presse et leur offre une audience qu’ils n’auraient pu espérer gagner par leurs seules forces… Je vais avoir du mal à enfiler mes chaussettes, si je continue !

19h : Enfin rentré au bercail, je découvre un message du proviseur du lycée classique de Kerichen, que j’ai bien sûr contacté entretemps. Celui-ci me répond qu’il préfère éviter de laisser entrer des personnes extérieures « tant que la situation sanitaire ne sera pas stabilisée ».. S’il savait que j’ai pénétré dans son établissement ce matin même, qui plus est sans prévenir personne, il en ferait (c’est le cas de le dire) une maladie ! Je pourrais lui opposer que je suis vacciné et que, de toute façon, il n’entre pas dans mes intentions de rouler des galoches aux lycéennes – il n’y a pas écrit « Patrick Font » ici ! Mais monsieur le proviseur ajoute que les bâtiments provisoires sont très bien et qu’il n’y a rien à dire dessus : en clair, il soigne sa pub et je peux interpréter sa réponse (avec laquelle, je sais, certains membres du personnel ne seraient cependant pas d’accord) comme une version polie de « circulez, y a rien à voir » ! Je préfère ne pas insister, d’autant que je dois reconnaître qu’il n’a pas complètement tort : ces constructions provisoires ne m’avaient pas paru spécialement inconfortables et mon reportage ne promettait pas d’être des plus passionnants… Je suis presque soulagé de devoir abandonner cette idée !

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Mardi 9 novembre

11h : D’habitude, je garde le lundi pour mes activités journalistiques, mais là, si je veux que mon reportage d’hier soir soit publié à temps, je n’ai pas le choix, je dois faire une exception. J’écris donc mon article dans une semi-urgence : ce petit travail suffit à me fatiguer rapidement, d’autant que je sais que Macron va parler ce soir ; j’ai beau savoir que les modélisations de l’institut Pasteur (qui n’est pas une bande de branquignols) excluent la nécessité d’un nouveau confinement, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet. Une fois mon papier rédigé et envoyé à la rédaction, je m’offre donc une pause prolongée, ce qui n’est pas dans mes habitudes…

00h20 : Il est très tard et je viens de finir de finaliser une quarantaine de dessins : il me faudra encore coloriser la moitié d’entre eux, mais je suis déjà heureux et fier d’avoir pu terminer ce gros travail. Il faut dire que je me suis offert deux bonnes grosses pauses dans la journée et que ça m’a fait gagner en efficacité : c’est même la première fois que je prends vraiment conscience de la nécessité de se reposer en journée, ce que je n’avais envisagé jusqu’alors que comme un prétexte de fainéant pour ne pas travailler… On en apprend tous les jours.

Mercredi 10 novembre

Le journal du professeur Blequin (179)

17h : La journée, dédiée à la préparation de nouveaux livres, a été quelque peu écourtée par une grasse matinée. Et oui, tard couché, tard levé ! Je me rends néanmoins au cours du soir, au Bergot : j’y vais en bus, ce qui est une aberration au vu du détour que ça me fait faire, mais je dois transporter mes affaires dans un sac presque aussi grand que moi, usage du format raisin oblige, et j’estime avoir passé l’âge de parcourir plus d’un kilomètre en étant chargé comme un mulet ! Il faut bien que je me ménage un peu et ce n’est pas de ma faute si les lignes de bus ont été tracées en dépit du bon sens : il y en avait bien une qui me rapprochait de l’école, mais ils se sont empressés de la modifier… C’est marrant, dès que quelque chose nous rend la vie plus agréable, le pouvoir se dépêche de nous le supprimer ! Chemin faisant, je comprends que Macron s’est borné à annoncer que les plus de 50 ans devront se faire injecter une troisième dose : très bien, ça fera une sortie pour tous ces seniors qui s’ennuient ! Plus sérieusement, la nouvelle a dû hérisser les anti-vaccins : bien fait pour eux ! Même si le vaccin était vraiment dangereux, je préférerais encore me le faire injecter plutôt que devoir subir encore une fois le confinement qui a été pour moi une épreuve pire que la mort !

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Jeudi 11 novembre

23h : Encore une fois, je veille à une heure indue pour coloriser mes dessins. Une fois le gros du travail terminé, j’essaie de redonner de leur superbe à mes pinceaux, qui ont eu à souffrir de leur utilisation intense. J’ai cru comprendre que l’huile donnait de bons résultats, mais le plus dur est de les suspendre pour qu’ils s’égouttent ! J’utilise la passoire qui me sert à égoutter mes pattes, mais l’objet n’a manifestement pas étudié pour cet usage…  Ne voulant pas être plus royaliste que le roi, je renoncerai finalement à cet excès de zèle et déciderai de jeter les pinceaux les plus abîmés : il y a des moments où je me demande si je ne devrais pas carrément renoncer à la couleur…

Vendredi 12 novembre

11h : Après avoir fait mon marché, je me lance dans l’opération scannage : j’ai une quarantaine de dessins à numériser. Cette opération indispensable est toujours pour moi une source de frustrations : je suis toujours obligé de faire des retouches car mon scanneur est un modèle rudimentaire qui ne me permet pas de faire un travail de précision et qui, si j’ai eu le malheur de faire de la couleur, voit toujours douze milliards de nuances là où je ne vois qu’un aplat. De surcroît, sur écran, je perçois plus facilement les maladresses qui m’avaient échappé sur ma planche… Tout ceci est bien décourageant.


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