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Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…

Publié le 29 janvier 2022 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…Samedi 22 janvier

19h40 : Invité à l’inauguration du restaurant « Le Biorek », j’arrive largement avant l’heure qu’on m’avait donnée : j’avais vu le local en travaux, je n’en suis donc que d’autant plus impressionné de le retrouver aménagé, ça me donne une idée de la somme de travail que l’installation a nécessité… L’ambiance végétale est idéale pour une personne nerveuse et hypersensible telle que moi et les dimensions humaines de la salle atténuent grandement le trouble qui me vient à chaque fois que je pénètre dans un lieu inconnu. Quant au fameux « borek » qui est la spécialité de la maison, c’est vrai que c’est bon, je recommande particulièrement le feta-épinards, le jeune Alexandre Meudec a eu une riche idée en décidant d’introduire cette crêpe turque à Brest, il me reste à lui souhaiter que nos concitoyens y prendront goût.

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…

20h30 : Trois de mes amis, eux aussi invités, arrivent au Biorek : je me joins à leur table, une compagnie à laquelle je suis déjà accoutumé me permettant de surmonter la fatigue qui me vient toujours en société, surtout quand la nuit tombe encore tôt. Le Covid s’invite à la discussion et l’abominable mot « asymptomatique » se fait entendre : j’ai du mal à éviter la brutalité dans la voix quand je dis qu’une personne qui n’a pas de symptômes est tout simplement une personne qui n’est pas malade ! Mais si je me permets de pousser un coup de gueule, c’est que je me sens à l’aise, c’est donc plutôt bon signe. L’un des convives est venu avec son petit garçon qui rechigne dans un premier temps à goûter au borek mais qui finalement adore ça. Bref, je passe un bon moment et quand on me demande mon avis sur l’établissement, je réponds « mention peut pas mieux faire » !

Lundi 24 janvier

9h30 : Après un dimanche sans histoires, je suis réveillé (et oui, je ne suis pas matinal en ce moment) par un SMS d’un de mes amis revus au Biorek : il m’annonce que son fils a été testé positif au Covid et me conseille de me faire tester au cas où. Je suis un peu triste pour ce garçonnet qui va être traité comme un pestiféré alors que je suis prêt à parier qu’il n’est même pas malade, mais je ne me ferai pas tester pour autant car je n’ai aucune envie de subir le même sort alors que je suis à jour de vaccin… Je suis las de toute cette folie !

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Geneviève et moi.

15h : Je continue à retravailler le tapuscrit de la regrettée Geneviève ; je me permets quelques modifications ponctuelles : je corrige des expressions peu claires, j’adoucis certaines formules que le public actuel n’est plus disposé à accepter… Je me le permets car je représente la postérité : mon but est que le témoignage de Geneviève sur les temps troublés qu’elle a traversés parvienne aux oreilles de mes contemporains, alors je prends soin à ce que le message ne soit perturbé par des polémiques stériles. Est-ce que je suis fier de moi ? Je ne sais pas : ce dont je suis sûr, c’est que je ne suis pas fier de mon époque !

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Jean Cras vu par votre serviteur.

Mardi 25 janvier

15h : Je fais une interview transatlantique : en vue de ma chronique dans Côté Brest, j’interroge un biographe de Jean Cras qui habite à Boston, en visioconférence bien sûr. Il faut dire ce qui est, c’est une belle invention et c’est vraiment utile pour échanger avec une personne qui habite très loin. Donc, oui, la technologie rend parfois de vrais services : mais est-ce ma faute si mes semblables s’en servent pour des conneries les trois quarts du temps ?

Mercredi 26 février

16h40 : Je fais un saut au centre-ville. En principe, le port du masque y est encore obligatoire, mais il me semble que les trois quarts des passants déambulent à visage découvert : les gens savent que le Covid est de moins en moins dangereux, alors ils ne se sentent plus obligés de respecter une obligation qui sera bientôt levée… Je ne leur jette pas la pierre, j’en fais autant !

18h : Au cours du soir, personne ne me demande pourquoi j’étais absent la semaine dernière : ils doivent se douter que c’était lié à l’épidémie et puis je n’ai pas de comptes à rendre… La séance est consacrée à un travail commencé la semaine dernière, mais je rattrape mon retard, la prof est même impressionnée par ma rapidité d’exécution. En fait, je pourrais être encore plus productif si l’air du temps n’était pas si décourageant…

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20h : Je sors du cours, bien décidé à gagner le Port de commerce pour participer à la scène ouverte hebdomadaire de la Raskette : mais je dois vite déchanter car, quand j’arrive à l’arrêt de bus, le tableau d’affichage indique « service terminé » ! Dépité, je me dirige vers une autre station, pour rentrer chez moi : sur place, un homme m’annonce que son bus aurait déjà dû passer depuis dix minutes ! Une jeune fille nous explique que tous les bus ont mis fin à leur service dès vingt heures en raison d’un incident… Je songe un instant à rentrer à pied ; dans l’absolu, c’est faisable, il n’y a que trois quarts d’heure de marche du Bergot jusqu’à Lambézellec, mais je prends la mesure de la situation : il fait déjà nuit, il fait froid, je suis chargé comme un mulet et j’avais mis mes chaussures de ville… Bref, je me résigne à téléphoner à mes parents qui ne voient aucun inconvénient à venir à mon secours : ma mère me fait la conversation en attendant que mon père arrive en voiture et me ramène à bon port. Au moins, je peux être tranquille pour la petite santé de mes parents : tant qu’ils peuvent encore me rendre des services de ce genre, c’est plutôt bon signe.
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21h : Une fois rentré grâce au dévouement de mes géniteurs, comme je suis tout de même intrigué par la brutale cessation d’activité des transports publics brestois, je me renseigne et j’apprends qu’ils ont pris cette décision désagréable suite à des tirs de mortier d’artifice sur leurs véhicules ! Tirer sur des bus, c’est vraiment crétin : une fois encore, c’est la connerie ordinaire qui m’a foutu dans la merde… En tout cas, je comprends mieux pourquoi on ne porte presque plus le masque en centre-ville : avec ces abrutis armés en liberté, les flics ont autre chose à foutre que verbaliser le croquant qui circule à visage découvert ! Et je n’en ai eu que d’autant plus raison de ne pas rentrer à pied… Un bon point : je ne culpabilise pas. Il n’y a pas si longtemps encore, je m’en serais encore voulu de n’avoir pas su anticiper et d’avoir été obligé de déranger mes parents, mais là, je suis bien obligé de reconnaître que ce n’est pas de ma faute, et puis en comparaison de ce que j’ai encaissé il y a exactement une semaine, ce n’est pas grand’ chose…

Jeudi 27 janvier

16h : Je prépare un portfolio pour une amie ; comme je me suis mis en tête de colorier tous les dessins qui le composeront, je suis obligé de gouacher certaines zones, ce qui est toujours une source de problèmes pour moi, mon approche du dessin étant plus scripturaire que picturale… Faut-il que j’aime cette fille !

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…
22h : Pour chercher le sommeil, je feuillette quelques-unes de mes BD, dont 50 nuances de Grecs : quand je tombe sur les pages consacrées à Pan et à Dionysos, j’ai comme une révélation. En effet, dans cet album paru il y a déjà cinq ans, Charles Pépin rappelle « qu’une civilisation ne s’édifie pas simplement sur des piliers d’ordre, d’équilibre et de clarté » et a « besoin aussi de danseurs ivres, de la force de la nuit, de la puissance libératrice de l’excès », mais il prend aussi acte du fait que nos sociétés occidentales n’ont de cesse de nous exhorter à renoncer à cette puissance. Je comprends mieux pourquoi les gens deviennent fous : à peu près tous les plaisirs, quand ils ne sont pas carrément interdits, sont sévèrement encadrés, nos contemporains sont donc privés des soupapes morales qui garantissaient leur bonne conduite. On veut les forcer à faire l’ange, il n’est donc pas étonnant qu’ils fassent la bête ! Laissez les gens se défouler, s’amuser, s’enivrer et vous serez surpris de voir à quel point la délinquance, les incivilités et toutes les autres manifestations de la folie ordinaire régresseront…

Vendredi 28 janvier

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…

10h : Je sors faire mon marché. Une affiche m’apprend que le premier tour des élections aura lieu le 10 avril ! Et oui, je ne le savais même pas : ce sera donc beaucoup plus tôt que je ne le pensais, je me demande bien pourquoi. Si j’étais paranoïaque, je penserais que Macron a peur qu’un premier tour organisé trop longtemps après la fin de l’épidémie ne lui porte préjudice ! Il est vrai que deux mois (et des poussières) pour faire campagne, ça va être juste pour que ses adversaires rattrapent leur retard… La campagne a déjà commencé : les affiches de Pécresse ont fleuri et un type distribue des tracts pour Mélenchon à l’entrée du marché. Des affiches de Zemmour ou de Le Pen, je les aurais probablement arrachées, mais Pécresse, malgré tous ses défauts, est assurément une démocrate et je n’agis donc pas ainsi à son égard ; de surcroît, il faut bien avouer qu’elle est plutôt mignonne, mais je ne voterai jamais pour elle pour autant ! Quant au militant de LFI, je refuse poliment son tract, mais je lui adresse quand même un mot d’encouragement : en dernière analyse, je suis de son côté, même si je ne voterai probablement pas pour son candidat, ancien ministre de Mitterrand et de Jospin dont la conversion tardive aux idées de la gauche alternative m’inspire une relative méfiance ; je n’ai pas vraiment pris de décision, mais comme les élections s’annonce de toute façon assez mal (doux euphémisme) pour la gauche, je n’exclus pas, foutu pour foutu, de voter pour Christiane Taubira pour exprimer mon rejet définitif de tous les discours haineux que je n’ai que trop entendus ces dernières années…

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…
10h15 : Au marché, presque tout le monde porte un masque, alors que Lambézellec ne figure absolument pas sur la liste des quartiers où il serait encore de rigueur. La preuve, c’est que quand je croise des « médiateurs », mon visage nu ne me vaut absolument aucune remarque. Curieux paradoxe : en centre-ville, personne ne porte de masque alors que c’est encore obligatoire, et dans mon quartier, tout le monde en porte alors que ce n’est pas obligatoire ! Bon, la moyenne d’âge des gens que je croise n’y est sans doute pas étrangère : la plupart des clients du marché ont dépassé l’âge de la retraite, et on leur a tellement rabâché qu’ils étaient plus exposés à développer des complications… Pandémie plus élections égale grosse fatigue en ce qui me concerne.

21h : Je veille assez tard pour continuer mes couleurs. J’en profite pour prendre une grande décision : je gardais depuis longtemps mes pots contenant des gouaches fortement diluées, tellement diluées que c’était carrément de l’eau teinte, chaque couleur de l’arc-en-ciel étant représentée ; il y avait déjà longtemps que j’en avais marre des tons pâlichons que j’obtenais avec ce procédé et que je n’utilisais plus que des encres de couleur : alors j’ai vidé tous ces pots dans l’évier et fait mes adieux à une technique qui m’aura quand même accompagné pendant plusieurs années…

Le journal du professeur Blequin (189) Fatigué…

21h30 : J’ai enfin terminé les dessins destinés à composer mon portfolio : il se fait déjà tard et je n’ai même pas encore dîné, mais je risque quand même un œil sur ma messagerie… Et je découvre que j’ai un mail de l’URSSAF ! Il faudra qu’on m’explique un jour pourquoi ces ronds-de-cuir nous envoient leurs messages le vendredi soir voire en plein week-end, justement quand nous sommes fatigués et n’avons aucune envie de nous occuper de leurs caprices (je veux dire encore moins qu’en semaine) ! Bref, je suis déjà contrarié, mais je prends quand même connaissance du contenu du message : en fait, on me demande mes coordonnées bancaire pour pouvoir me verser la fameuse prime de cent euros. Bon, ce n’est pas pour me demander de payer quelque chose, c’est déjà ça. J’essaie donc de m’exécuter sur le site de l’URSSAF, comme on me le demande… Mais j’ai beau taper cinq ou six fois les codes qui figurent sur mon RIB, le site ne veut rien savoir et me répond à chaque tentative que la forme du BIC est invalide ! Peut-être, mais je n’en ai pas d’autre ! A bout de nerfs, je préfère renoncer : leurs cent euros, ils n’ont qu’à les garder ! Je suis un artiste, pas un mendigot ! Leur blé, qu’ils l’utilisent pour se doter de sites web qui fonctionnent !


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