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Le journal du professeur Blequin (192)

Publié le 19 février 2022 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le journal du professeur Blequin (192)Samedi 12 février

15h : Ayant déjà fait toutes mes mises à jour sur Internet, je suis pratiquement désœuvré : alors, tant que la météo le permet, je sors faire un tour au bois de la Brasserie, situé juste en face de chez moi. La balade est bien agréable, malgré la côté à grimper pour atteindre l’extrémité du bois… Et les promeneurs qui se sont affublés de masques ! Franchement, c’est pousser un peu loin le zèle prophylactique : porter un masque dans un lieu dont l’intérêt principal est justement de donner accès aux senteurs végétales, c’est comme visiter un musée les yeux bandés !

Le journal du professeur Blequin (192)

16h : La sortie champêtre m’a été profitable et je retrouve le goût du dessin : à peine rentré, je m’attelle à une idée qui me tenait à cœur depuis déjà quelques semaines, à savoir une série de dessins représentant à quoi ressembleraient les statues équestres de personnalités actuelles. Certaines personnes me demandent où je vais chercher tout ça : sincèrement, je n’en sais rien et c’est bien ce qui m’emmerde, je n’arrête pas d’avoir plus d’idées que je ne peux en réaliser. Il faudrait que j’en mette un coup, mais le contexte m’angoisse tellement que je n’arrive pas à rester durablement motivé…

Le journal du professeur Blequin (192)
Dimanche 13 février

11h : Je daigne enfin ouvrir l’œil. Je pulvérise tous mes records, jamais je ne m’étais levé aussi tard un jour qui n’est même pas un lendemain de fête ! Le rhume plus mon anxiété, je suis comme pris entre deux vents glacés qui m’incitent à rester au chaud… Il y a trois ans, quand je m’apprêtais à quitter enfin la maison de mes parents, je pensais tenir enfin le bon bout, ça y était, j’allais prendre mon envol, j’avais un boulevard devant moi… Dois-je préciser que tout ceci me manque ?

Lundi 14 février

14h : Malgré ma grosse fatigue, j’appelle mon bailleur pour régler une affaire : pour des raisons que j’ignore, la personne qui me répond se met presque à crier et je suis obligé de la prier de changer de ton ! D’habitude, c’est plutôt à moi qu’on reproche de parler aux gens avec agressivité, je suis donc quelque peu déconcerté par cette inversion des rôles…

Mardi 15 février

Le journal du professeur Blequin (192)

11h : J’étais censé prendre part à une visite guidée du Fort du Questel, mais je reçois un coup de fil m’annonçant que la visite est reportée pour cause de météo défavorable ; ça m’arrange plutôt qu’autre chose car je n’avais pas vraiment envie de sortir, mais il n’empêche que je m’étais préparé mentalement pour cette virée et que je me retrouve donc la queue entre les jambes… Quand la dame me propose de choisir entre le report ou le remboursement, désorienté et penaud, je choisis le report alors que je ne m’étais inscrit à cette visite que par défaut et que le remboursement était ce que je voulais depuis le début ! Mon incapacité à faire face aux changements d’emploi du temps est vraiment handicapante…

Le journal du professeur Blequin (192)
14h : Je relève mon courrier et je découvre que ma RQTH est renouvelée : je ne vais cependant pas en profiter tout de suite, je vais attendre que l’ambiance soit un peu plus calme pour entreprendre de changer de vie ; si c’est pour voir défiler des gens terrorisés par le virus ou finir interné dans un camp, autant rester dans ma coquille…

Mercredi 16 février

11h : Je me suis promis de sortir ce soir pour enfin honorer de ma présence, après trois tentatives avortées, la scène ouverte du mercredi soir à La Raskette. En attendant, ne sachant que faire d’autre, j’avance sur la peinture que je suis censé réaliser dans le cadre des cours du soir mais dont j’ai déjà raté deux séances… Je ne suis que moyennement à l’aise dans cet exercice, je ne me sens pas l’âme d’un peintre, mais c’est tellement prenant que j’arrive presque à oublier mon rhume ainsi que tout ce qui me détruit le moral en ce moment…

Le journal du professeur Blequin (192)

17h : Il est temps d’y aller. A la sortie de mon immeuble, le panneau d’affichage est couvert d’affiches du NPA, toutes taguées d’un « Z » dont la provenance n’a pas besoin d’être précisée… Les affiches sont lisibles malgré tout, suffisamment en tout cas pour que je me dise une chose : on peut penser ce qu’on veut des partis dits d’extrême-gauche, on a le droit de juger inadaptées voire dangereuses leurs propositions, il n’empêche qu’ils ont le mérite de parler des vrais problèmes et de ne pas chercher à faire diversion avec des polémiques aussi inutiles que néfastes, comme le fait justement le gourou des zorglhommes qui n’ont qu’une lettre de l’alphabet à opposer à toute une vision claire de la société…

Le journal du professeur Blequin (192)
Projet de visuel pour annoncer la conférence.

17h05 : Je feuillette le dernier Côté Brest : quand j’y vois ma page « histoire » consacrée à Jean Cras, je n’en suis guère étonné, mais quand je découvre mon portrait en haut de l’antépénultième page du journal, je suis très surpris ! Il était certes prévu qu’on y annonce la conférence sur l’autisme que je dois donner dans une semaine, mais je ne m’attendais pas à être mis à l’honneur ainsi ! Parcourant l’article, je constate que le rédacteur s’est fendu d’une petite présentation de ma personne et de mes talents : ayant déjà eu l’occasion de constater l’impact de Côté Brest sur les gens du coin, il n’en faut pas plus pour que je me prenne à compter sur une assistance nombreuse la semaine prochaine voire à d’autres retombées… On peut rêver même en plein marasme, non ?

Le journal du professeur Blequin (192)

17h10 : Le prochain bus n’est pas pour tout de suite ; poursuivant la lecture de Côté Brest, je découvre un article sur la réouverture des discothèques, reprenant notamment les propos du patron de l’un de ces lieux festifs : « Est-ce que la fermeture imposée des boîtes a servi a quelque chose ? J’en doute puisque lorsque l’épidémie a explosé, elles étaient fermées depuis un mois ! Si elles étaient restées ouvertes, avec les protocoles sanitaires, cela n’aurait rien changé. Enfin si, nous aurions travaillé. » J’ajouterais : de façon générale, si on avait laissé les gens sortir et s’amuser à leur guise, l’épidémie ne se serait probablement pas aggravée et les gens auraient même renforcé leurs défenses immunitaires en évacuant leur stress ! Donc, pour répondre à ce brave patron, oui, la fermeture des boîtes a servi à quelque chose : à aggraver la situation !

17h15 : Poireautant toujours à l’arrêt de bus, je me retrouve pris entre deux cas sociaux : un type en fauteuil roulant qui me demande des précisions sur le journal que je feuillette et un abruti qui, m’entendant dire que j’écris dans ce périodique, me lance « Parce que tu sais écrire, toi ? » Je pourrais lui répondre que ce qui est étonnant, ce n’est pas que je sache écrire, c’est que lui sache parler ! Quoi qu’il en soit, j’essaie de présenter Côté Brest à l’homme blessé au pied, sans même savoir s’il comprend ce que je lui dis… Il finit par me demander si c’est un journal politique : j’ai juste le temps de lui répondre qu’il n’en est rien avant de pouvoir monter avec soulagement dans le bus… 

Le journal du professeur Blequin (192)

17h45 : Me voilà en centre-ville avec la ferme intention de savourer une collation avant de descendre au port ; je vois passer sur le boulevard Clemenceau plusieurs personnes portant des pancartes et une seringue géante : pas besoin de chercher loin contre quoi ils ont manifesté ! Avant d’entrer dans la friterie, je ne peux m’empêcher de leur crier « Antivax, têtes à claques » ! Infantile ? Peut-être, mais sûrement pas plus que leurs propres revendications !

20h30 : Voilà un peu plus d’une heure et demie que je suis à La Raskette où le public est plutôt clairsemé, ce qui n’en rend que d’autant plus satisfaisant le chiffre que je fais avec mes caricatures. Poussé par les nécessités bassement corporelles, je vais aux toilettes et j’y découvre, bien en vue, toutes les caricatures du personnel de l’établissement que j’avais réalisées il y a deux mois ! Je suis flatté : au moins, comme ça, tous les clients les voient au moins une fois !

21h30 : Je quitte La Raskette où mes caricatures m’ont rapporté une somme respectable malgré la faible fréquentation : la météo est des plus ingrates et on est en pleine seconde semaine de vacances scolaires, deux facteurs qui dissuadent beaucoup de gens de sortir… Je suis d’autant plus satisfait que je garde en tête les propos élogieux de deux gamins sur mes dessins : pour un dessinateur, les enfants sont le meilleur des publics.

Jeudi 17 février

Le journal du professeur Blequin (192)

14h : J’ai enfin reçu les encriers que j’avais commandés il y a déjà un mois et demi. Pour dessiner à la plume, je ne jure plus que pour l’encre noire Pélikan, mais il devient de plus en plus difficile de s’en procurer : je n’en trouve plus dans aucune boutique de Brest, je suis donc forcé de l’acheter en ligne, ce qui est d’autant plus déplaisant qu’aux délais de livraison inhumains s’ajoutent les frais de port astronomiques… C’est à croire que la Terre entière en veut aux artistes d’exister !

18h : Je suis déjà fatigué. Quand je dors (très) mal et quand le monde me fait peur, il m’est difficile de rester productif. Me réveillerai-je un jour de ce cauchemar ?

Vendredi 18 février

11h : Je fais mon marché, mal réveillé à l’issue d’une énième nuit pénible. Pour ne rien arranger, une écrasante majorité de clients s’obstine à porter le masque. J’ai quand même droit à un rayon de soleil : la fromagère travaille à visage découvert, elle n’a même pas de masque au menton, et elle m’a mis du reblochon de côté. Il y a des gens qui vous aident à ne pas désespérer complètement…


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