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Le journal du professeur Blequin (195)

Publié le 12 mars 2022 par Legraoully @LeGraoullyOff

Samedi 5 mars

19h : Je passe la soirée en compagnie de mes parents avant qu’ils ne partent pour la Guadeloupe. Nous prenons l’apéritif et mangeons une raclette devant N’oubliez pas les paroles et La petite histoire de France : pas la peine de regarder les infos, on ne sait que trop ce qu’on y verrait… J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de la série humoristique de W9, mais ça ne suffit pas à me faire regretter de ne pas avoir la télé chez moi ! Il paraît que notre président parle de supprimer la redevance télé : j’ai fait plus simple, j’ai supprimé la télé !

Dimanche 6 mars

Le journal du professeur Blequin (195)

15h : Visite guidée du Fort du Questel, l’un des cinq forts qui avaient été bâtis pour protéger Brest d’une éventuelle attaque terrestre pendant la guerre d’indépendance américaine et qui n’ont finalement jamais servi, sauf pendant la seconde guerre mondiale où l’Occupant les a réquisitionnés… Ce fort (qu’il faudrait plutôt appeler redoute au vu de sa taille modeste) est dans un état de conservation assez exceptionnel pour un bâtiment du XVIIIe siècle qui n’est pas classé et est longtemps resté à l’abandon avant que la ville daigne s’y intéresser à nouveau ! Cela dit, les galeries ne sont pas éclairées, il faut faire attention à ne pas marcher dans les flaques d’eau, et il y a même des pierres qui tiennent mal… En fait, cette bâtisse est assez bien conservée pour être visitable mais pas assez pour que le visiteur n’ait pas l’impression d’être dans une aventure de Blake et Mortimer ! Et ça vaut tous les parcs d’attraction du monde…

Lundi 7 mars;

11h : Je reçois un coup de fil de la maison Argel qui voulait sûrement me vendre sa merde : bien entendu, je leur ai raccroché au nez ! Cet « événement », qui sera le seul de cette journée sans incidents, me rappelle une anecdote de mon enfance : un représentant d’une entreprise de produits surgelés ayant un jour sonné à la porte de la maison familiale, ma mère décida de l’éconduire en lui disant qu’elle n’avait pas de congélateur, mais j’étais derrière elle et, en bon petit garçon à qui on avait appris très tôt que « mentir, c’est mal », je n’ai pas pu m’empêcher de crier « Menteuse, maman » ! Résultat, ma pauvre mère a dû subir le baratin du marchand de soupe et m’a détesté pendant cinq bonnes minutes… Je ne pense pas que le démarchage par téléphone annihile totalement ce risque de gaffe infantile : j’ai donc plutôt de la chance d’être célibataire et sans enfants !

Mardi 8 mars

11h : Je découvre le spot publicitaire pour une voiture électrique de chez BMW où Arnold Schwarzenegger et Salma Hayek jouent Zeus et Héra – après tout, pourquoi un Autrichien et une Mexicaine n’auraient-ils pas le droit d’interpréter des dieux grecs ? Malgré ma haine de la pub, j’apprécie plutôt ce petit film pour une raison bien simple : les publicitaires ne sont pas réputés pour compter sur l’intelligence et la culture du public, donc s’ils se permettent de mettre en scène les dieux de l’Olympe, alors il faut en conclure que tout n’est pas perdu pour la culture antique. Pour ne rien gâcher, Salma Hayek est toujours aussi sublime… Il paraît qu’elle est fière de son corps : si j’étais mauvais esprit, je dirais bien qu’elle a plutôt intérêt, au prix que doit lui coûter le silicone !

Le journal du professeur Blequin (195)
18h30 : Je reçois la visite d’une amie pour l’apéritif : elle me rapporte, entre autres, que sa fille a été obligée de passer un test Covid et qu’elle attend les résultats. Peu après, elle reçoit un message : le test est évidemment négatif… Oui, on peut dire « évidemment » car, depuis le début de la pandémie, elle n’a pas eu un seul cas dans son entourage ! Il en va de même pour moi : en revanche, depuis deux ans, je marche sur les cancers, les AVC et même les maladies rares ! Ceux qui n’en sont pas morts sont en train de devenir des légumes… Et à côté de ça, on nous a pourri la vie pendant deux ans pour une grippe dont on peut guérir en quinze jours… J’en rirais si je le pouvais encore.

Mercredi 9 mars

Le journal du professeur Blequin (195)

10h : Sortie éclair pour acheter des médicaments – je ne suis pas malade, c’est juste à titre préventif. Deux affiches de Zemmour ont été placardées à proximité de mon immeuble : je plains sincèrement le photographe à qui l’on a demandé d’essayer de faire quelque chose de regardable avec le faciès repoussant de ce sale type, et le résultat prouve qu’à l’impossible nul n’est tenu ! Pour ne rien gâcher, le slogan est sans doute le plus débile à avoir jamais été choisi : « Impossible n’est pas Français » ! Un proverbe débile devenu slogan débile pour un candidat débile au programme débile… Oui, je dis débile : on le dit cultivé, mais vivre à ce point dans le passé n’est pas une preuve d’intelligence, a fortiori quand on prend pour slogan un cliché aussi lourdingue que préhistorique qui n’a jamais rien voulu dire de réél ! Et il y en a qui votent pour ça… Bref, j’arrache les deux affiches, en plein jour, sans remords, et j’estime que je mériterais une prime pour contribution à la protection du paysage !

11h30 : Après une brève visite en compagnie de sa charmante petite fille, une amie prend congé de ma personne, mais le chemin qui donne accès à la rue est bloqué par des engins de chantier : elle est donc obligée de poireauter pendant quelques minutes, le temps que la voie soit à nouveau libre pour sa voiture… Voilà une difficulté qui risque de devenir récurrente quand ils commenceront à démolir la vieille baraque que longe la ruelle ! C’est peut-être pour résoudre ce problème qu’ils tardent à démarrer le chantier pour de bon ?

Le journal du professeur Blequin (195)
22h : Au cours du soir, j’ai finalisé une gouache inspirée du conte « Riquet à la houppe » : tout le monde s’accordant à la trouver réussie, j’en ai pris plusieurs photos afin de pouvoir la diffuser ; maintenant que je suis rentré, je tombe sur un os : toutes les photos qui ne sont pas floues ou gâchées par le reflet du flash sont mal cadrées ! Pas moyen de les recadrer sans perdre un morceau de la petite merveille que j’ai peinte… La mort dans l’âme, je me résigne à laisser apparaître le fond vert sombre sur lequel j’avais scotché mon travail, et je me dis que ceux qui ont photographié les toiles de maître pour les faire figurer dans des livres sont des seigneurs, ou alors ils disposent d’un matériel de pointe – l’un n’excluant pas l’autre, bien entendu.

Jeudi 10 mars

10h20 : Ayant quelques affaires à résoudre en ville, j’envisageais de prendre le bus pour la place de Strasbourg puis de descendre la rue Jean Jaurès à pied. Mais je tombe sur un os : le bus en question ne passera que dans 25 minutes ! La matinée étant déjà bien avancée, si j’attends, je risque non seulement de me bricoler des varices de compétition mais aussi de laisser passer l’heure de fermeture du magasin où je dois commencer mes pérégrinations… Je me résigne donc à monter la côte et à prendre le bus pour la place de la Liberté, quitte à devoir remonter la rue Jean Jaurès : en terme d’efficacité, j’y perds beaucoup… Je maudis celui qui a décrété que la commune de Bohars n’avait pas besoin d’être mieux desservie !

11h : Me voilà arrivé au niveau de l’épicerie roumaine où je suis censé retirer un colis. Mauvaise surprise : elle est fermée ! Et pourtant, j’étais bien sûr d’avoir vérifié les horaires… N’y comprenant rien, j’attends un quart d’heure devant la porte au cas où l’absence de l’épicier ne serait que momentanée ; bien entendu, je ne vois rien venir… Ce n’est pas la première fois que j’ai un problème de ce genre avec un commerce de proximité et je me demande si ces petits commerçants ont bien conscience du fait que ce genre d’incurie de leur part leur fait mille fois plus de tort que les charges sociales et les coups de boutoir de la grande distribution…

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11h30 : Essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur, je descends jusqu’à la place Guérin : chemin faisant, je découvre qu’après Sophie Davant, c’est Valérie Damidot qui a lancé un magazine portant son nom. Un magazine consacré à la déco, ça va de soi… On me l’avait dit, mais je ne voulais pas le croire ! Si même la mère Damidot, à côté de qui la Davant passe presque pour un modèle de grâce et d’intelligence, se prend suffisamment au sérieux pour donner son nom à un organe de presse, fût-il (à peine) déformé par un jeu de mots idiot (Damidéco, pfff…), on réalise à quel point la télé donne la grosse tête à ceux qui y passent régulièrement ! A ce niveau-là, on ne parle plus de melon, mais de citrouille aux hormones…

11h30 : Me dirigeant vers la boîte à dons de la place Guérin pour y jeter un coup d’œil, au cas où j’y trouverais quelque chose d’intéressant, je suis interpellé par trois personnes qui étaient justement en train d’y déposer de vieux livres et qui décident subitement de m’offrir l’un d’eux, Kamo et moi de Daniel Pennac. N’osant pas refuser, j’ai ainsi l’occasion de livre le roman pour la jeunesse qui préfigure Messieurs les enfants (paru cinq ans plus tard), à ceci près que l’essentiel n’est pas dans l’histoire, bien connue aujourd’hui, des gamins qui se réveillent transformés en adultes et découvrent leurs parents redevenus enfants, mais bien dans celle du prof de français que tout le monde prend pour un monstre de sévérité à la limite du sadisme et qui s’avère finalement être un homme blessé par la vie, un orphelin de guerre qui n’a jamais pu connaître les joies d’une vraie vie de famille… En somme, la morale de l’histoire, ce pourrait être cette citation d’Alain : « Ne dites jamais que les hommes sont méchants ; ne dites jamais qu’ils ont tel caractère. Cherchez l’épingle. »

Le journal du professeur Blequin (195)

12h : Déjeuner au Biorek brestois ; il n’y a pas foule, mais ce n’est pas le désert complet, les gens du coin en sont encore à découvrir ce restaurant qui n’a qu’un mois d’existence et son étrange spécialité, cette fameuse crêpe turque qui peut être garnie de mille façons… Je reste dans le classique avec la feta-épinards. Une autre cliente reste masquée jusqu’à ce qu’Alexandre, le jeune tenancier, lui indique qu’elle peut baisser le masque, ce qu’elle fait avec soulagement : manifestement, il n’y pas que moi qui n’ai pas réussi à m’y habituer en deux ans ! Avant de partir, j’offre le roman de Daniel Pennac pour compléter les étagères de l’établissement qui regorgent déjà de livres : cet ouvrage m’intéresse, certes, mais pas suffisamment pour que je lui fasse une place dans ma bibliothèque déjà bien encombrée…

13h30 : Après une deuxième tentative infructueuse de rencontrer l’épicier roumain, je retourne prendre l’air sur la place Guérin ; malheureusement, cette place emblématique de la vie brestoise est trop souvent encombrée par des cas sociaux avinés. L’un d’eux me donne un bisou, un autre crie comme un putois qu’on égorge… J’avais rendez-vous avec mon vieil ami graphiste à quatorze heures : tant pis, il devra m’accueillir avec une demi-heure d’avance !

14h : Mon ami n’a pas fait de difficultés pour me recevoir un brin prématurément. Ensemble, avec son épouse au volant, nous partons pour une boutique d’impression sise dans une zone d’activités commerciales où il faudrait être fou pour s’aventurer à pied – je le sais, j’ai essayé. Notre conductrice, qui n’a pas sa langue dans sa poche, tique un peu quand je qualifie Aujourd’hui en France de « torchon » et quand je dis que Sylvie Vartan doit être plus mongolienne que bulgare… Voilà où ça mène de ne pas savoir mentir !

16h : Une fois rentré, je traite le courrier que j’ai reçu : l’un d’eux m’exhortait à créer « mon espace santé » sur Internet : je me suis donc rendu sur le site concerné… Pour m’opposer à la création de cet espace. Ben oui, moins j’ai de codes inhumains à taper sur ordinateur et mieux je me porte, alors je ne vais pas en rajouter un ! De toute façon, voilà trois ans que je vis à Lambézellec et, depuis, je n’ai dû aller voir le médecin que deux fois, dont une pour retirer un document : autant dire qu’un outil supplémentaire pour veiller sur ma santé ne serait jamais rentabilisé…

Le journal du professeur Blequin (195)
« Moche, moi ? »

22h : Au terme d’une journée bien remplie où j’ai tout de même dû écrire un abondant courrier, je tombe sur un extrait du film She’s all that, qui avait été distribué en France sous le titre Elle est trop bien (pfff…) et que mes « camarades » de collège m’avait fait subir jadis : dans l’extrait en question, on voit l’héroïne féminine (interprétée par Rachael Leigh Cook) en maillot de bain AVANT son relooking, donc quand elle est encore censée être la « moche » de service… Sincèrement, si toutes les jeunes filles pouvaient être aussi « moches » que cette demoiselle, le monde serait un paradis ! En fait, c’est un des gros clichés d’Hollywood : la gourdasse moche n’a qu’à enlever ses lunettes et détacher ses cheveux pour devenir subitement belle et populaire – et en plus, elle y voit très bien. Sincèrement, s’il suffisait de ne pas attacher ses cheveux et de ne pas porter de lunettes pour séduire, devenir un sex-symbol serait à la portée du premier venu… Il faut vraiment être débile comme on peut l’être à douze ans pour tomber dans un panneau pareil ! Je me demande si Karibou et Witko ont pensé à traiter ce cliché dans leur excellent album Cinéramdam

Vendredi 11 mars

10h15 : Avant de faire le marché, je décide de passer à la poste pour acheter des timbres afin d’affranchir mes sept lettres ; en principe, ce devrait être une promenade de santé, mais les bureaux de poste sont devenus des succursales de la quatrième dimension… A peine suis-je entré qu’une postière me met le grappin dessus : considérant que je n’ai pas à deviner ce qu’elle me veut, je ne dis rien, et c’est elle qui brise le silence en me demandant ce que je veux. J’aurais aussi bien pu attendre mon tour ! Mais je réponds : quand je précise que je compte payer en espèces et non par carte, elle me dit que je vais devoir patienter car elle n’a pas accès aux espèces et ne « prend en charge » que les usagers qui paient par carte. Je mets des guillemets car je ne suis pas long à constater que cette « prise en charge » consiste à les diriger vers l’automate (qui n’accepte pas la monnaie) et à leur expliquer comment s’en servir… Comme si on n’avait pas déjà eu tous l’occasion d’utiliser au moins une fois ces engins de malheur ! Comme la postière qui a accès aux espèces est occupée avec un cas social qui demande à ce qu’on lui remplace une carte de je-ne-sais-quoi qu’il a perdu, je suis donc contraint de poireauter pendant un laps de temps qui me paraît interminable (surtout derrière cette visière qui me fait suer comme un porc) et me rend nostalgique de l’époque où la poste ne servait qu’à envoyer du courrier… Pour ne rien gâcher, celle qui est chargée de choyer les utilisateurs de carte bleue en profite pour soutirer toutes les coordonnées d’un couple sous prétexte d’ouvrir un compte totalement inutile : comme si je n’étais pas assez énervé, l’indignation me gagne à la vue de cette intolérable atteinte à la vie privée que permet la technologie ! Et le couple qui se laisse faire sans rechigner… Pauvres pigeons heureux de se faire plumer sous prétexte de modernité ! Après avoir vu les deux postières s’absenter deux fois pour aller chercher je ne sais quoi, je craque et je décide finalement d’affranchir tout mon courrier sur l’automate. Quand l’une d’elles me demande si j’ai finalement décidé de régler par carte, je lui réponds « zut » et je reste poli… Je n’ai jamais été aussi heureux, après ça, de retrouver les commerçants du marché de Lambé !


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