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Le journal du professeur Blequin (196)

Publié le 19 mars 2022 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le journal du professeur Blequin (196)Samedi 12 mars

13h30 : Malgré le temps mitigé, je sors quand même, ayant promis de me joindre à une lecture de poèmes organisée par le Collectif Synergie organisée dans le cadre du printemps des poètes : j’y vais à pied histoire de me dérouiller un brin. En chemin, je vois de nouvelles affiches électorales ; j’avais fustigé la stupidité du slogan de Zemmour, mais force est de constater que les autres candidats ne brillent pas non plus par leur originalité : l’équipe de notre président n’a pas dû se fouler outre mesure pour pondre « Emmanuel Macron avec vous » et Mélenchon nous ressort « Un autre monde est possible », la célèbre devise des altermondialistes… Etonnez-vous que les Français se désintéressent de la politique après ça !

14h30 : Arrivé en haut de la rue de Siam, j’ai encore quelques mètres à parcourir pour atteindre le jardin Segalen où doit avoir lieu l’événement. Mais celui-ci semble compromis : la pluie arrive et le vent se renforce… Les rues se vident rapidement : même si l’événement n’est pas annulé in extremis, il risque de ne pas y avoir grand’ monde ! Mais je m’obstine car je ne tiens pas à avoir marché pour rien : dans le pire des cas, s’il n’y a vraiment personne, j’aurai fait une promenade, ce sera toujours ça de gagné.

Le journal du professeur Blequin (196)
15h : Le jardin Segalen, situé sur le cours Dajot, est totalement exposé aux rafales de vent et rien ne me permet de m’y abriter ; de surcroît, je n’y avise aucun visage connu. Je tourne donc les talons, bien décidé à sauter dans le premier bus venu pour regagner mon doux foyer, quand tout à coup, j’entends une voix crier mon prénom : je me retourne, et je vois Claire, la présidente du collectif, qui s’est rendue compte à temps de ma présence et me rattrape donc de justesse. Peu à peu, d’autres personnes tout aussi têtues nous rejoignent et nous sommes sept à tomber d’accord sur un point : tout projet de faire une lecture de poèmes en ce lieu et aujourd’hui est à bannir, à plus forte raison s’il faut en faire une captation vidéo ! Conscients que nous n’avons pas la moindre chance de drainer plus de monde, nous décidons donc de nous diriger vers la place Wilson où le vieux kiosque à musique peut offrir un abri acceptable face aux intempéries.

15h30 : Devant le kiosque et face à une caméra, nous lisons à tour de rôle des poèmes sur le thème de l’éphémère. Quelque peu perturbé par le changement de programme et les intempéries persistantes, je reste prostré en attendant mon tour et j’en oublie l’amabilité envers une poétesse qui m’adresse la parole d’une façon un peu trop expansive à mon goût : heureusement, cette dame a un fils autiste et comprend facilement ma réaction. De toute façon, elle me pardonne tout après avoir écouté mon slam sur le harcèlement en milieu scolaire.

17h : Nous mettons un terme à l’événement, dont la durée aura donc été réduite de moitié. C’est déjà bien l’avoir maintenu en dépit des difficultés ! Je repars donc, frigorifié mais satisfait malgré tout : je saute dans le premier bus pour Lambé, et j’entends la conductrice lancer à une autre voyageuse « Il faut mettre le masque » : nonobstant ma lassitude envers cette obligation idiote (mais je crois que j’en avais déjà marre avant même qu’elle n’entre en vigueur), je ne peux m’empêcher de trouver la formulation infantile, elle me rappelle la phrase « Tu mets le chapeau » que les braves gens servent à leur progéniture quand arrive la saison des coups de soleil… Et si cette expression anodine, « Il faut mettre le masque » résumait à elle seule toute l’infantilisation dont les citoyens auront fait l’objet depuis le début de la pandémie ?

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Franquin vu par votre serviteur.

Dimanche 13 mars

14h : C’était fatal, je me suis enrhumé en allant déclamer dehors par mauvais temps. Aujourd’hui, le ciel est dégagé mais il fait encore froid : je ressors néanmoins aujourd’hui pour aller soutenir mes amis de Putain 2 Renaud qui donnent un concert au PL Le Gouill ; à l’arrêt de bus, je patiente en feuilletant un de mes vieux Fluide Glacial, ce qui me vaut d’être interpellé par un homme âgé qui reconnaît une page des Idées noires de Franquin et souhaite de toute évidence engager une conversation sur ce sujet : je lui fais donc savoir aimablement que j’ai envie d’être tranquille… Je m’en veux un peu de l’éconduire ainsi, mais il ne faut pas compter sur un autiste pour secourir tous les vieux qui souffrent de la solitude !

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15h : Putain 2 Renaud fait son concert, sans la délicieuse Audrey qui a préféré rester chez elle pour des raisons qui ne vous regardent pas. Heureusement, Mélanie ne manque pas de ressources non plus et nous fait une première partie de qualité avec, entre autres, une reprise de The show must go on de Queen, un titre de circonstance à une heure où le spectacle vivant en est encore à se refaire une santé… Pendant la suite du concert, j’ai beau connaître la plupart des chansons depuis des années, je ne peux pas m’empêcher de verser quelques larmes ! J’y vois plusieurs raisons : et d’une, quoi qu’on en dise, Renaud reste un grand poète dont les chansons toucheront longtemps le cœur des gens et dont même la production la plus récente est loin d’être à jeter en bloc. Et de deux, c’est le premier concert auquel je peux assister dans masque, je verse donc des larmes de joie de voir la vie redevenir enfin normale. Et de trois, même si Audrey me manque, la voix de Mélanie me donne des frissons et la plupart des pouffiasses qu’on subit sur la bande FM ne lui arrivent pas à la cheville ! Et de quatre, enfin, il est difficile d’oublier l’Ukraine (la troupe lui rend même hommage), ce qui donne une résonance particulière à des chansons comme « La ballade nord-irlandaise » ou « Manhattan-Kaboul »…

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17h : Le concert est déjà fini. L’un des responsables du patro, voyant les croquis que j’ai exécutés lors du spectacle, m’offre une place pour un autre concert intitulé « Patro chantant » qui aura lieu dans quinze jours ; la seule contrepartie qu’il me demande est de revenir avec mon carnet pour crobarder les chanteurs… Bien entendu, j’ai accepté : je ne sais pas si j’ai fait un bon choix, mais rien que pour le plaisir de me sentir estimé en tant qu’artiste, ça me semble valoir le coup. Et puisqu’il devient à nouveau possible d’avoir une vie culturelle sans se déguiser en Michael Jackson, autant en profiter pleinement…
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17h30 : Dans le bus, alors que je m’approche déjà de Lambézellec, une jeune femme à l’apparence étrange m’interpelle : comme je porte mon écharpe en guise de masque, qui plus est sous le nez, je crains qu’il ne s’agisse d’une contrôleuse qui vient me rappeler à l’ordre, mais cette demoiselle à la peau d’ébène et à la chevelure de viking (si, je vous assure !) se borne à m’interroger, dans le cadre d’une enquête, sur l’usage que je fais du bus… Je réponds aux questions et c’est seulement après ce petit interrogatoire qu’elle me dit : « Et encore merci pour votre conférence, c’était génial ! » Elle était dans l’assistance lors de ma récente causerie sur mon « voyage en normalaisie » et elle m’a reconnu… Tout en savourant la joie d’avoir une notoriété, je réalise après coup qu’il était quand même étrange de la faire travailler le dimanche, qui plus est pour ce genre d’enquête : l’utilisation qui est faite du bus le dimanche n’est pas très représentatif des pratiques quotidiennes ; mais après tout, n’ai-je pas moi-même démontré, précisément dans cette conférence qui m’attire aujourd’hui de nouvelles félicitations, que notre société est profondément absurde ?

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Lundi 14 mars

10h : C’est aujourd’hui que mon amie Sarah Bellemare soutient sa thèse : pour être sûr d’y arriver à temps tout en respectant mon planning, je me suis donc fixé ce planning : écriture de ma chronique pour Côté Brest à la bibliothèque universitaire puis déjeuner sur la place de la Liberté avant de regagner la fac. A la BU, je ne sais pas trop à quel saint me vouer : faut-il être masqué ou non ? Les panneaux d’obligation de porter le masque sont toujours en place, mais les trois quarts des étudiants présents sont à visage découvert en toute impunité. Je décide donc de tomber le masque à tout hasard : effectivement, personne ne me dit rien, je vois même une bibliothécaire qui en a fait autant ! Décidément, c’est confirmé, le monde redevient comme avant : aussi pourri qu’avant, mais guère plus.

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Sarah vue par votre serviteur.

13h : De retour à la fac après un bon déjeuner de crêpes, je ne sais plus trop dans quelle salle la soutenance de Sarah doit avoir lieu ; je prends donc l’ascenseur pour le premier étage, où je devrais retrouver l’information. Surprise : alors que je me prépare à sortir, Sarah entre justement dans l’ascenseur ! Trop heureuse de me revoir après des mois de séparation et de m’entendre lui annoncer que je suis venu spécialement pour la soutenir, elle me saute au cou : une fois remis de mon émotion, je décide de la suivre, c’est encore ce qu’il y a de plus simple pour être sûr d’arriver à bon port. Il arrive parfois que le hasard vous aide et que la vie se montre bienveillante. Parfois.

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14h : La soutenance commence. Sarah a consacré sa thèse aux représentations sociales de la prématurité, c’est-à-dire à l’attitude des parents et des soignants face à ce fait pour le moins déplaisant : la naissance avant terme d’un enfant dont le développement organique n’est pas achevé et qui n’est donc pas (encore) en état de mener une vie normale hors de l’utérus maternel… Une telle situation est source de peur, d’angoisses et de culpabilité pour les parents ! La soutenance est passionnante mais trop courte : il faut libérer la salle pour 16h30, autant dire que le temps dont disposent la candidate et les jurés est dérisoire en comparaison de ce que durent souvent les oraux de ce genre… Il faut croire qu’il y a beaucoup d’événements organisés à la faculté et que la fin du port du masque désinhibe des volontés d’agir qui étaient refoulées depuis deux ans ! Je pourrai dire à ma mère que je n’étais pas le seul à trouver cette disposition rédhibitoire ! Enfin bref : Sarah est reçue, elle est docteure en psychologie sociale, ce qui prouve qu’il y a une justice en ce bas monde.

Mardi 15 mars

Le journal du professeur Blequin (196)

20h : La journée s’achève sur un bilan on ne peut plus satisfaisant : j’ai réorganisé la bibliographie d’un doctorant et finalisé une vingtaine de dessins ! La forme revient, et je sais pourquoi : hier, j’ai enfin eu droit à ma première journée comme il y a deux ans, je veux dire que j’ai enfin retrouvé l’ambiance de l’époque où je n’imaginais pas une seconde que l’Etat pousserait la perversion jusqu’à nous forcer à rester chez nous et à nous priver de visage à cause d’une maladie dont on peut guérir en quinze jours… Bref, je peux enfin reprendre ma vie là où elle avait été grossièrement interrompue, je retrouve donc l’énergie d’avant le confinement ! Il ne manquerait plus qu’une défaite de Marine Le Pen et mon bonheur serait complet !

Mercredi 16 mars

14h : J’ai des petites courses à faire ; je constate ainsi que le port du masque n’est plus obligatoire dans les magasins que j’ai l’habitude de fréquenter. J’avoue que je l’espérais sans trop oser y croire : ça paraît presque trop beau ! Je suis presque déçu que ça ne déclenche pas de scènes de liesse. Mais je sais pourquoi : malgré la levée de l’obligation, beaucoup de gens le portent encore, signe que la peur du virus est plus forte que la soif de liberté et le besoin de respirer à pleins poumons… Je devrais arrêter de surestimer le peuple, mais je dois être trop idéaliste.

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Daniel Goossens vu par votre serviteur.

15h : Tout en attendant le bus, je feuillette le dernier hors-série de Fluide Glacial, qui a pour thème le printemps. Globalement, j’aime bien tout ce que j’y vois, je suis toujours content de trouver Stella Lory, Isa, Lévêque et Le Chien, Grossetête, Joan, Zanello, Prieur & Malgras et Bouzard pour ne citer que mes chouchous. La seule chose que je n’aime pas, c’est Bruno le barbare : ce genre d’humour faussement populiste me lasse très vite, j’ai envie de dire à l’auteur que l’absurde, ça va bien cinq minutes, et que ça va, on sait, ces BD de gare qui ont bercé notre jeunesse étaient foncièrement ridicules, pas besoin d’en rajouter ; en comparaison, l’histoire de Carmen Cru qui précède l’épisode de Bruno donne un sacré coup de vieux (c’est le cas de le dire !) à cette série sans grande consistance… On annonce la sortie de l’album pour le mois prochain : je pense que je vais garder mes économies pour le nouveau Goossens ! A ce propos, je pourrais aussi ergoter sur le fait que les albums sortent alors que le contenu n’a pas encore été publié en entier dans le magazine, je pourrais aussi déplorer un nombre important de resucées (au demeurant toujours agréables à relire) mais je ne vais pas faire la fine bouche : cent pages de BD d’humour sans pub, ça vaut bien trois massages thaïlandais simultanés ! Fluide glacial reste de loin ce qu’il y a de mieux sur le marché ! Merci, monsieur Gotlib : vous n’avez pas œuvré pour rien…

Le journal du professeur Blequin (196)

15h30 : Je me suis à nouveau trompé de bus. Je voulais prendre le bus pour la place de Strasbourg, mais l’habitude de prendre le bus pour la place de la Liberté, jointe à la lassitude d’attendre dans le froid, m’a fait machinalement entrer dans le véhicule auquel je suis habitué… Me voilà donc obligé de prendre une correspondance pour retirer une commande et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même ! Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’en profite pour feuilleter le dernier Côté Brest, avec ma chronique consacrée aux journées insurrectionnelles d’août 1935 ainsi qu’un article sur… Les chiens policiers brestois. Je me désolidarise de ce papier : j’estime qu’on ne devrait pas mêler des animaux à nos turpitudes humaines. Dresser des cabots qui ne demandaient qu’à vivre leur vie de chien pour en faire les complices de la répression me paraît aussi abject qu’organiser une corrida. Qu’on s’entende bien : je ne nie à aucun de mes frères humains le droit d’aimer un de ses représentants de la race canine ; qu’un individu noue une relation privilégiée avec un chien au point de pousser celui-ci à lui ramener ses pantoufles ou son journal ne me dérange pas. Mais à partir du moment où on formate un pour le transformer en machine à lacérer du nègre ou du bicot, je ne peux que crier à la perversion. Que le chien soit le meilleur ami de l’homme, d’accord. Qu’il devienne le meilleur prédateur de l’homme, pas d’accord.

Le journal du professeur Blequin (196)
18h : Au cours du soir, la prof a décidé de nous faire dessiner les lèvres et les nez de nos camarades. Sauf qu’au lieu de nous faire poser les uns pour les autres, elle nous demande de nous photographier entre nous afin que les photos nous servent de modèles : comme je n’ai pas pensé à apporter mon appareil photo et que je n’ai pas de smartphone, je suis donc pénalisé… Je savais bien qu’un jour, il y aurait un service qui deviendrait inaccessible aux non-possesseurs de smartphone dont je fais partie, mais je ne pensais pas que ce serait celui-là ! Pour pallier mon incapacité à vivre avec son temps, notre professeur me prête une tablette : me voilà donc obligé, pour la première fois de ma vie, d’employer une de ces diableries technologiques. Je risque une baffe si je dis que je me sens un peu humilié ?

Jeudi 17 mars

Le journal du professeur Blequin (196)

9h : J’assiste au début d’un colloque consacré aux républicains espagnols exilés en France pendant la seconde guerre mondiale. Voilà un point de l’histoire de France dont vos enfants ne risquent pas d’entendre parler. Pourquoi ? Parce que ces femmes et ces hommes, coupables d’avoir défendu la justice, la liberté et le droit dans leur pays, nous n’avons même pas attendu les Nazis pour les traiter comme des chiens : la IIIe République les a parqués dans des camps puis Vichy les a livrés pieds et poings liés au Reich pour qu’il puisse les réduire en esclavage. Bref, c’est une honte nationale ! J’exagère à peine : plus j’en apprends sur le sujet et plus je me rends compte que la France a été plus innommable que je ne le pensais envers eux… Il y a des jours où j’ai honte d’être français !

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13h : Après avoir déjeuné dans un sandwicherie, je retourne à la fac pour assister à un autre colloque, et qu’est-ce que je vois sur la porte ? Non, pas un panneau d’obligation de porter le masque, c’est un peu tôt, simplement une affiche annonçant que la messagerie étudiante va changer. Et pour avoir accès à la nouvelle, qu’est-ce qu’on donne à ces jeunes gens ? Ne cherchez plus, vous avez trouvé : un QR Code. En somme, l’étudiant qui n’a pas de smartphone est privé de messagerie, il ne sera donc pas tenu au courant d’informations qui le concernent directement…. Cette époque me tue !

13h45 : Début du colloque sur Virgnia Woolf ; au début, il est surtout question des traductions françaises dont elle a fait l’objet et je n’apprends pas grand’ chose car les difficultés auxquelles les traducteurs ont fait face sont à peu près celles auxquelles j’ai moi-même été confronté pendant mes années de doctorat quand je traduisais Platon en français. J’en arrive à me demander si, en assistant à ce colloque simplement parce que je l’ai moi-même annoncé dans la presse, je ne fais pas de l’excès de zèle… Mais la suite est beaucoup plus intéressante ; en effet, une oratrice évoque la dépersonnalisation de l’écriture, considérée comme une action nécessaire pour que la femme écrivain conquière l’égalité avec l’homme, depuis Virginia Woolf jusqu’à Nathalie Sarraute. La grosse différence, c’est que pour Woolf, cette dépersonnalisation est une conquête qui n’annule pas une différence de nature, tandis que pour Sarraute, c’est une donnée qui va déjà de soi. En clair, la dépersonnalisation est un but pour Woolf et un départ pour Sarraute. Mais pour des écrivains plus contemporains comme Virginie Despentes, la question ne se pose plus : en effet, la « post-modernité » semble opérer un retour vers l’individualité et considérer la position sociale, fût-elle genrée, comme un point de départ qu’il faut non seulement assumer et même revendiquer… Qui a raison ? Je ne saurais dire ! Mais même si madame Despentes se trompait, ça n’enlèverait rien à mon respect pour cette grande dame qui a connu la domination masculine sous sa forme la plus violente et a su en faire contre le patriarcat !

18h : Je repars, désireux de ne pas rentrer trop tard. Mine de rien, en une seule journée, j’ai revu beaucoup de gens que je n’avais pas croisés depuis longtemps : ce fut donc la journée des retrouvailles, pour le meilleur et pour le pire. En effet, le monde se divise en deux catégories : les gens qui vous demandent de vous nouvelles… Et ceux qui vous parlent d’eux-mêmes. Devinez quelle catégorie j’ai préféré revoir ?

19h30 : Je rentre enfin au bercail après un retour laborieux : en effet, ayant constaté que le bus de Lambézellec n’arriverait que dans une vingtaine de minutes, j’ai décidé de prendre le tram pour prendre le bus qui passe précisément devant mon immeuble ; au final, je ne suis pas arrivé plus tôt et il a fallu supporter pendant une bonne demi-heure le vacarme d’une bande de jeunes accompagnée de clébards braillards sur la place de Strasbourg… Je défie quiconque de ne pas avoir la conviction d’être un minable après avoir subi ce genre d’épreuve !

Le journal du professeur Blequin (196)
Vendredi 18 mars

9h : Retour au colloque sur les républicains espagnols. Naturellement, l’Ukraine s’invite aux débats : quand le premier orateur souligne le fait qu’on se sentirait moins concerné pour une guerre qui affecterait des Noirs ou des Arabes, je ne peux qu’être d’accord avec lui…

14h30 : Le colloque sur Virginia Woolf reprend avec une demi-heure de retard. Je ne comprendrai jamais comment font les gens que l’on dit « normaux » pour prendre autant de retard, au mépris des exigences d’autrui. Est-ce donc si difficile de respecter ses engagements ? Est-il donc si difficile de respecter le temps de parole qui vous est alloué ? La vie serait tellement plus agréable et moins fatigante (et sûrement pas plus ennuyeuse) si on s’en tenait à ce qui a été fixé au lieu de tout changer d’une minute à l’autre…

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Marie-Josette Le Han vue par votre serviteur.

18h30 : Début du concert de clôture du colloque, où une pianiste rejoue la BO du film The hours et où Marie-Josette Le Han et Ann-Aël Ropars lisent des lettres de Virginia Woolf : une belle musique, de belles phrases, de quoi nettoyer les oreilles ! Le concert était gratuit et ouvert à tous : malgré ça, il y avait quand même des places assises qui restaient libres… Les absents ont toujours tort, mais bon, après tout, si mes concitoyens préfèrent dépenser des sommes disproportionnées pour écouter bramer Nolwenn Leroy, c’est leur affaire !

20h : Le bus pour Lambé qui était censé passer arborait l’annonce « Ce bus ne prend pas de voyageur » et le prochain est annoncé pour vingt minutes plus tard… Je décide donc, pour ne pas retarder plus avant mon dîner, d’aller manger à la friterie, et tant pis pour mon cholestérol ! Théorème : la satisfaction du médecin est indépendante de la ponctualité des transports publics. Corollaire : Bibus se fout de la gueule du monde – mais ça, je m’en doutais déjà avant.

20h30 : Avant de quitter la friterie, je vais aux toilettes, et j’y découvre une affiche gouvernementale sur la prostitution des adolescents. Il est écrit : « Je gère. Tôt ou tard, vous n’arriverez plus à gérer ». On peut applaudir à tout rompre : c’est bien la première fois dans l’histoire de France qu’un gouvernement avoue ouvertement à quelles extrémités ses réformes à venir conduiront le peuple ! C’est donc officiel : les prochaines mesures gouvernementales mettront les plus démunis dans l’obligation de se prostituer. Je n’en suis qu’à moité étonné et je ne m’étonne pas de trouver cette affiche dans les chiottes…

Samedi 19 mars

Le journal du professeur Blequin (196)

22h45 : Il se fait déjà tard. Mine de rien, la journée a été bien remplie : je suis retourné au colloque sur les républicains espagnols où les organisateurs étaient ravis de me revoir avec mon doctorat et mon carnet de croquis, j’ai déjeuné dans un restaurant où l’on compte sur ma contribution régulière à un journal local pour relancer les affaires de la maison, j’ai donné à un cinéaste local mon avis sur son dernier moyen-métrage parce qu’il considère que mon statut de correspondant de presse donne un poids supplémentaire à mon opinion… Bref, tout le monde me reconnait une importance voire une autorité : alors comment se fait-il, quand je me retrouve seul chez moi, que j’aie le sentiment de n’être qu’un moins que rien ?


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