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Petit cours de sociologie du net

Publié le 12 mars 2012 par Paumadou

Je ne sais pas si ça relève vraiment de la sociologie et ça ne prendra certainement pas, ici, la forme d’un cours construit avec la rigueur scientifique qu’exigerait cette discipline. Vous m’en excuserez, j’ai fait des études d’histoire de l’art, pas d’éthno-sociologie.

Petit cours de sociologie du net

Les moutons de Panurge

Un des comportements que je remarque le plus sur le net, et dont je ne suis moi-même pas exempte, c’est le comportement du mouton.

Le mouton est un animal fort sympathique, mais pas très intelligent. Vous connaissez, l’expression « moutons de Panurge » ? (si c’est non, allez lire par ici)
Et bien, je trouve qu’elle s’applique parfaitement au comportement quotidiennement constaté sur internet: la réaction dans l’urgence.

Le comportement est très facilement identifiable: une situation scandaleuse surgit, une personne expose un point de vue et comme elle est la première, elle est la première écoutée et donc suivie. Suivie dans son « combat » contre quelqu’un d’autre (ou une entreprise, ou une assos, bref « contre »). Ce premier exposé de situation, je l’appellerai « situation injuste n°1  »

Que la personne ait tort ou raison, peu importe, elle est la première à s’expliquer. L’euphorie du net est telle qu’il faut réagir vite, se positionner, le tout sans même avoir à réfléchir à la situation, à sa légalité ou à sa « justice ». Une fois l’hallali lancé, la situation injuste n°1 devient la seule valable. Car le net est cruel: difficile de rendre justice quand une foule lynche et qu’il y a beaucoup de gens qui gardent une vision incomplète de la situation générale.

Car tout le drame est là: le premier arrivé fait un battage monstre qui nuit forcément à la « situation injuste n°2″ qui est celle de la personnes/entreprise/autre contre laquelle elle se bat.

Car dans ce genre de situation rien n’est blanc/noir, bon/méchant. Il existe donc, une situation injuste n°2 qui est que la personne est attaquée publiquement avant même d’avoir eu connaissance des griefs de l’attaquant.

Laver son linge sale en public… au risque de montrer les trous dans ses caleçons.

Situation qui s’est renouvelée 3 fois dans mon entourage numérique dernièrement… A chaque fois, la situation n°1 était orientée, erronée, injuste oui pour celui qui la pose, mais également pour celui qui la subit à travers la situation n°2. Deux points de vue, le premier enflammé, passionné et donc non-objectif. Le second tente de remettre des poids du côté de sa balance et peut le faire de deux manières: en étant le plus neutre possible ou en entrant dans la bataille de passion. Dans les deux cas, dur de lutter si l’attaquant a un minimum d’influence.

Situation 1 et 2 ne sont jamais les seules valables, il ya une multitude de versions aucune n’est « la bonne ». On n’a pas à prendre parti contre, ce n’est pas une obligation et rien n’est bon dans l’agitation. Dans la fièvre, l’être humain est capable de faire des trucs horribles comme si la capacité de raisonnement était inhibée par l’agitation populaire. Surtout quand l’attaque touche quelque chose de personnel: un personne qu’on apprécie ou qui nous est sympathique, un sujet qu’on défend avec coeur, un ennemi qu’on ne supporte pas et avec qui on est souvent en conflit, n’importe quoi en fait, tant que ça touche à soi, ses idées, ses amis.

Quand une polémique naît, j’ai vu deux réactions : soit la personne qui la lance regrette rapidement ses propres erreurs et tente d’apaiser ce qu’il a lancé (avec d’autant plus de difficulté que la fièvre est montée rapidement), soit la personne continue dans sa lancée, aveugle à ce qu’il a pu faire de « mauvais » ou d’illégal (lancer l’affaire publiquement au lieu de régler ça en privé, faire usage de diffamation ou juste, parfois, de mauvaise foi !)
Des deux cas, je conseille plutôt le premier, même si je suis plutôt d’accord pour régler ce genre d’affaire en privé… le public ne devenant une solution que pour les conflits non-réglés après discussion.

Les moutons se comportent en moutons (étonnant, non ?)

Je répète qu’il m’arrive souvent de tomber dans le piège, personne n’est parfait. Mais c’est justement parce que je suis tombée plusieurs fois dans ce genre de situation, que j’ai fini par éviter de réagir à chaud (ou alors juste pour ramener les gens à la raison… mais ils n’écoutent pas en général les discours différents des leurs)

Dans un cas de diffamation très récent, le blogueur avait flairé ce qu’il a qualifié d’arnaque et qui est en réalité une pratique douteuse et condamnable. A la base, dénoncer cette pratique est légitime, il reste qu’il s’agissait d’un différend commercial (en tout cas, au moment où l’affaire est lancée)
Le premier tort de ce blogueur a été d’utiliser le terme « Arnaque » qui est diffamatoire car ici il s’agissait de produit existant et payant (l’arnaque consisterait à une volonté délibérée de faire payer contre un produit inexistant). Certes le prix était très cher pour l’ouvrage vendu, mais si la pratique est douteuse, elle n’est pas interdite et donc n’est pas une « arnaque » au sens légal du terme (s’il y a un sens légal pour arnaque, ce dont je ne suis pas certaine)

L’affaire est importante car elle touche à la crédibilité des éditeurs numériques, d’où un buzz énorme. Le lendemain donc, l’éditeur mis en cause réagit d’une manière « professionnelle et commerciale » (douteuse aussi, mais bon, on fait comme on peut): il menace le blogueur de poursuites judiciaires s’il ne retire pas les deux articles sur le sujet.

Là, si le blogueur avait eu un peu de jugeote (ou s’il ne s’était pas enflammé en hurlant direct à la liberté d’expression qu’on assassine) il aurait relu ses billets et supprimés/modifiés les passages qui pouvaient accréditer la thèse de la diffamation : il suffit de changer « arnaque » en « pratique douteuse » pour que les billets puissent rester en ligne sans crainte de procès.
Mais au lieu de cela, le blogueur est monté sur ses grands chevaux : il s’est auto-décrété martyr de la liberté d’expression et a supprimé les articles à grands renforts d’annonces (qu’il arrêtait de bloguer-trop-dégouté-de-la-vie, qu’il fallait qu’on le soutienne dans son combat, etc.)

Les moutons ont suivis. Toute la journée, j’ai vu défiler des tweets, des commentaires de personnes que j’estime, qui criaient tout autant à la liberté d’expression, au musèlement, au soutien indéfectible… et toute la journée, j’ai soupiré en disant qu’il s’était juste fait avoir par un commerçant pas très honnête, qu’il n’y avait pas à s’insurger contre l’omerta des puissants et que s’il l’avait vraiment voulu, ce blogueur, d’habitude très consensuel, aurait pu continuer son « combat » contre les pratiques douteuses, en simplement évitant de tomber sous le coup de la loi sur la diffamation. Visiblement, ça ne l’a même pas effleuré.

Personne n’est venu non plus retirer son soutien ou même remettre en cause ses décisions (qui font beaucoup parler de lui, mais plus du tout de la pratique douteuse qui en était à l’origine…)

Car c’est un comportement fréquent du mouton : quand il se rend compte que le combat était truqué, il se retire sans un mot, ni même un regret… trop embarrassé par sa prise de position initiale (comme s’il n’y avait que les cons qui changeaient d’avis… oh wait !). La mauvaise image reste et les enjeux réels derrière la polémique sont étouffés, oubliés et finalement, on ne peut plus les défendre vu qu’on s’est planté dans sa prise de position initiale (trop honteux d’avouer qu’on s’est trompé ?)

Comment réagir alors ?

D’abord ne pas prendre position dans les premières minutes (en tout cas pas plus que « Oh c’est honteux ! ») et attendre que les éclaircissements se fassent. Un jour ou deux sont parfois nécessaires à ce que les esprits se calment et se remettent à fonctionner normalement (c’est à dire retrouvent une capacité de réflexion objective et logique)

Ensuite, si vous voulez vous positionner: positionnez vous sur les vrais sujets et pas sur la prise de position orientée en soutien ou contre quelqu’un/quelque chose. Posez-vous les bonnes questions (pas évident, mais ça vous fera certainement dire moins de conneries que de croire aveuglément ce que machin a dit – le jeu du cékikiadi est comme le téléphone arabe, on finit par déformer la situation de départ…), de plus ça vous évitera de répéter ce que disent les autres comme des perroquets (des moutons-perroquets, oh mon Dieu, j’ai une imagination beaucoup trop visuelle !

ROTFL
)

Ecoutez toutes les parties, faire le tri de la réaction épidermique primaire « C’est scandaleux, vite partagez cette situation qu’on fasse le plus de battage possible pour que ça ne soit pas étouffé et soutenons-le ! » et les réactions plus intelligentes qui posent les vraies et bonnes questions pour remettre en cause les pratiques, les lois, le fond du problème.

N’insultez jamais personne. Ça, c’est la seule est unique règle d’internet : n’insultez jamais personne, il est tellement plus facile d’ignorer ! (et plus classe aussi

Razz
)

(Photo de Fir0002/Flagstaffotos
licence GFDL cliquez sur l'image pour plus d'infos)

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