Le 22 février 1942 meurt à Petrópolis, au Brésil, Stefan Zweig. Le grand écrivain autrichien et sa femme Lotte se donnent la mort.
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Dimanche 22 février 1942, midi.
Ils ont congédié la gouvernante. Le jardinier a pris son dimanche. La maison est inondée de soleil. À travers les fenêtres entrouvertes dont les rideaux ondulent mollement, il entend le cri des oiseaux. Il fait une dernière fois le tour de l’appartement. Tout est dans un ordre parfait. Sur le petit bureau sont soigneusement disposés les lettres qu’il a écrites au long de la semaine. Et cela a été son unique travail, la journée du mercredi, jeudi, vendredi et samedi. Une lettre à Abrahão Koogan, une à Victor Wittkowski, une au frère de Lotte, une au frère de Friderike, une autre, la plus longue à son cher Jules Romains, et ce dimanche-là, une déclaration à l’attention de leurs hôtes brésiliens, et puis, voici une heure, l’ultime, à Friderike. Il a rédigé ses lettres avec autant d’application que s’il s’agissait de ses livres. Il a choisi les mots, de la façon la plus juste, de manière à ne pas blesser son destinataire, à lui faire ressentir combien il a compté dans son existence. Lui qui ne s’épanche pas a laissé passer entre les lignes l’intensité de ses sentiments, de son amitié, de son amour. Il a tenté de s’expliquer aussi, mais sans trop d’illusions. Qui comprendra son geste, qui accordera son pardon ? Seule Friderike, peut-être, saisira le sens de cet acte. Elle est la seule à avoir jamais percé les tourments de son âme.
La veille au soir, ils ont veillé tard. Feder et son épouse sont venus dîner. Ce fut une soirée délicieuse. Ils ont parlé littérature, de Goethe, de son Wilhelm Meister dont il avait enfin achevé la lecture – et finalement, ce roman-là de Goethe lui a paru cotonneux, empesé, si éloigné du Werther. Ils sont tombés d’accord sur ce point. Avant de se quitter, il a proposé à Feder une partie d’échecs. Il a perdu, bien sûr. Il aura été un piètre joueur d’échecs. Il a lu la surprise dans les yeux de Feder lorsqu’il lui a remis les livres empruntés il y a peu.
« Tu les as lus ? »
Terminées les lectures, plus jamais le regard posé sur la page d’un livre. Plus jamais les yeux ouverts sur d’autres univers. Et l’étrange et lumineuse intimité avec l’auteur, l’impression d’être aspiré dans un monde, plus jamais le voyage imaginaire, la distorsion du temps. Et plus jamais l’ivresse d’écrire, les morceaux de bravoure et les passions grandioses, les féeries révélées et le jeu des transferts, oui, décidément, ce monde où vivre était supportable. Tourner ou écrire des pages aura été l’unique geste qu’il aura accompli avec légèreté. Avec les hommes, jamais il ne sera parvenu à la moindre insouciance. Heureusement, le rideau allait tomber. Il avait fini de jouer la comédie humaine, d’interpréter le rôle de Stefan Zweig.
Laurent Seksik, Les Derniers Jours de Stefan Zweig, roman, Éditions Flammarion, Collection J’ai lu, 2010, pp. 175-176.
STEFAN ZWEIG
■ Stefan Zweig
sur Terres de femmes ▼
→ 28 novembre 1881 | Naissance de Stefan Zweig
→ Stefan Zweig | La folie malaise (note de lecture sur Amok ou le Fou de Malaisie)
→ 27 octobre 1466 | Naissance d’Érasme (Extrait de Érasme, grandeur et décadence d’une idée, de Stefan Zweig)
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