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Joëlle Gardes, L’Eau tremblante des saisons

Publié le 21 juillet 2012 par Angèle Paoli
Joëlle Gardes, L’Eau tremblante des saisons,
Éditions de L’Amandier,
Collection Accents graves-accents aigus, 2012.


Lecture de Françoise Donadieu

« DANS LE SILENCE DES MOTS, NI LE SOLEIL, NI LA MORT »

  L’Eau tremblante des saisons, le très beau titre qui ouvre le deuxième recueil de poésie publié par Joëlle Gardes aux Éditions de l’Amandier, semble convoquer Verlaine et Apollinaire (musicalité du vers impair et de l’allitération en nasales, fluidité, mélancolie) et l’on s’attend à découvrir au fil des pages quelques « paysages intérieurs » reflétant la douleur de la « si pauvre âme ». Mais on comprend vite que cette image n’est pas l’expression d’un sentiment personnel (ou pas seulement), elle est métaphore de la vie, d’une idée de la vie. Une idée qu’il faut poursuivre à travers les poèmes, car une idée en poésie est labile ainsi que l’eau, reflets scintillants de la beauté du monde ou trompeuses illusions, des larmes peut-être, comme dans une des plus anciennes définitions du séjour d’ici-bas : celle de l’Ecclésiaste.

  Le premier poème propose le même usage de la métaphore Vie / Dentelle sale et le même rayonnement du sens (beauté, fragilité, vanité, amertume) mais développe auparavant le comparant dans une description précise et sensible : « Le rosier qui grimpe sur le mur de la citerne offre chaque jour de nouvelles roses d’un jaune tendre / Cachés dans leur cœur les cétoines rongent les pétales enroulés et filent une dentelle tachée de noir. » Il donne ainsi la clé de ce qui est pour moi l’opération poétique accomplie dans ce recueil : une opération d’abstraction. Extraire du réel la « quintessence », mais aussi aller du concret à l’abstrait, rendre l’expérience vécue impersonnelle, c’est-à-dire intelligible pour tous.

  Cette opération place Joëlle Gardes dans la grande tradition classique qui vise avant tout à dégager le général du particulier. L’emploi récurrent du nous ou celui tout aussi fréquent de l’article générique l’enfant, l’adulte, la mère, l’aimé y contribuent et mieux encore ces maximes, brèves ou plus longues mais toutes ciselées par un patient travail pour rendre à la langue la force de sa saveur ancienne. Ce travail qui, d’après l’auteur, « est » véritablement le style. En ce domaine encore, elle retrouve l’esprit du Grand Siècle, celui de La Rochefoucauld ou de La Bruyère. On peut citer cet aphorisme d’une simplicité dense et parfaite, poli comme un scarabée de cœur égyptien, dans lequel l’apparent paradoxe s’éclaire si l’on retrouve l’étymologie du mot « offense » : la bonté elle-même est une offense.

  L’ambition d’une telle pratique poétique est bien de rendre compte de l’homme éternel, de la condition humaine abstraite des conditions historiques, dans l’entrelacement de thèmes qui furent ceux de la littérature du XVIIe siècle : la recherche de la vérité (À quelle aune mesurer la vérité ?), la dérision de la comédie humaine (« tous acteurs dans des pièces mal écrites dont ils inventent l’intrigue jour après jour ») et la présence de la mort comme rappel incessant de notre inanité : « Seule la fin leur est connue d’avance. » Le Temps est, le titre l’indique, le vrai sujet de cette méditation sur la vie : le concept du temps humain, chronologique, mécanique, implacable, fournit la structure profonde du recueil en s’opposant au motif récurrent des saisons ; c’est ainsi que la poésie de la nature prend valeur d’allégorie, dans le contexte d’une tradition commencée dans les Psaumes, reprise par Bossuet et retrouvée dans ces poèmes au détour de certaines phrases : « Les papillons qui flottaient dans la lumière ne sont plus que des insectes épinglés prêts à s’effriter. »

  Ce recueil est donc celui des Vanités, vanités renoncées dans un exercice spirituel constant, vie comme vanité, vide, insignifiance, tableaux à l’imitation de ces vanités qui dessinaient avec une précision impeccable les beautés du monde en les accompagnant d’un crâne de mort. L’esthétique et la morale s’y confondent parfaitement : pour preuve, la représentation de cette vertu si rare, la lucidité, dans l’image répétée de la lumière, celle du Midi, tranchante, cruelle parfois. Comme chez Racine, le tragique est éblouissant, et l’on peut penser que tout l’effort du poète est de regarder en face ce qui ne se peut, de réussir ce qui n’advenait pas « Dans le silence des mots : ni le soleil ni la mort… »

  Cependant, de « cet art de pudeur et de modestie », définition du classicisme selon Gide, naît une émotion poignante, bouleversante quand surgissent les forces du désordre : le je qui ne peut plus se taire, « j’efface rageusement les coulées les taches le rouge violent de la bouche sur le visage où le temps a déposé son masque / masque de la peur / de la vie, » le réalisme cru de la souffrance subie dans la maladie (« L’esprit flotte au-dessus du corps / la goutte qui tombe dans les veines scande un temps de passivité et d’attente / un temps inhumain »), mais aussi le bonheur aigu d’être en vie, la jouissance sensuelle de la vie : « bain dans la mer glacée des lendemains de mistral / quand l’eau tiède est repoussée au large et que les sources froides affleurent à la surface / frisson délicieux indécision entre plaisir et déplaisir. » Alors le lyrisme personnel l’emporte et s’élève le chant élégiaque : une élégie sans complaisance, sans pathétique, dans la tonalité des Élégies de Duino, dans leur dimension métaphysique, panthéiste. « Dorénavant je prierai les divinités des vagues avant d’entrer dans la mer, je jetterai le sel par-dessus mon épaule gauche et verserai le lait sur le seuil de ma maison, / sans culpabilité ni crainte, / dans la sérénité de ceux qui ont renoué l’alliance avec les choses. »

  Bien que maîtrisée et retenue, l’angoisse contemporaine face à un monde sans rédemption sourd de L’Eau tremblante des saisons. Angoisse à laquelle Joëlle Gardes apporte sa réponse personnelle : celle d’une quête inlassable du dépouillement et de la disponibilité au monde, qui permet de ressentir parfois l’apaisement en acceptant l’infinie patience humaine.

  L’écriture classique de Joëlle Gardes pourrait être définie par les mots que l’un des plus grands peintres contemporains appliquait à son œuvre : « le bruit caché dans le silence, le mouvement dans l’immobilité, la vie dans l’inanimé, l’infini dans le fini, des formes dans le vide et moi-même dans l’anonymat » (Joan Miró).

Françoise Donadieu
D.R. Texte Françoise Donadieu (juillet 2012)





JOËLLE GARDES

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Source

■ Joëlle Gardes
sur Terres de femmes

[Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
"Les arcanes subtils d'une relation triangulaire" (La Mort dans nos poumons) [note de lecture + bibliographie]
Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
→ Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
Méditations de lieux (note de lecture)
→ Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture + extrait]
→ 31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l'exil, biographie)
→ Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Hôpital

■ Voir aussi ▼

→ le site de Joëlle Gardes
→ (sur le site des éditions de l’Amandier) une bio-bibliographie de Joëlle Gardes




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