Benoît Mandelbrot, mathématicien et père de la théorie des fractales, est mort il y a plus de neuf ans, le jeudi 14 octobre 2010 à l'âge de 85 ans.
En guise d'hommage respectueux, lundi au tableau j'ai expliqué à mes élèves la structure topologique de l'ensemble triadique de Cantor. Compact, d'intérieur vide et pourtant non dénombrable.
Il aurait fallu leur parler de la fonction de Lebesgue construite sur l'ensemble triadique de Cantor qui fournit un contre-exemple attestant qu'une fonction presque partout dérivable n'est nullement nécessairement l'intégrale de sa dérivée, même si cette dernière est intégrable.
Comme Alexandre Grothendieck, Benoît Mandelbrot fut un prince de la dénomination; ainsi cette fonction de Lebesgue, l'appelait-il 'l'escalier du diable'; il suffit de regarder son graphe une seule seconde pour comprendre qu'il avait trouvé le nom, celui qui - bombe atomique de sens - parvient à condenser en lui-même, et à donner à voir en quelques syllabes, d'une manière presque parfaite, l'essence profonde de cette fonction. A son propos, Benoît Mandelbrot a dit 'l'escalier du diable' et il n'y eut, à tout jamais, plus rien rien à rajouter, tout est dit. Nom de pays: le nom.
Le mathématicien est le frère de l'écrivain. tous deux, d'abord, ils cherchent le nom véritable, celui qui convient.
Les figures fractales furent sa grande invention. Il les traqua un peu partout. A travers les cours de bourse, en scrutant longuement les ramifications du flocon de neige de Von Koch, ou simplement la structure compliquée d'un chou romesco.
Et évidemment qu'en écrivant cette phrase, je repense à ce vieux documentaire diffusé sur Arte dans lequel son compère Adrien Douady vêtu d'un ciré jaune arpentait, sous les vagues déferlantes, le littoral breton de manière à mieux mettre en évidence sa nature fractale.
Il faut l'entendre:
' Les fractales sont des objets géométriques qui ont la propriété suivante: ils peuvent être décomposés en fragments dont chacun a la même forme que le tout'
Personne avant lui ne s'était aperçu de quoi que ce soit, et voilà que lui, Benoît Mandelbrot, il les voit. Voilà même qu'il découvre qu'ils sont partout ces fameux fractals! Que la nature est fractale! Que les fractals sont au coeur du monde depuis toujours, hier comme aujourd'hui. Réalité première, préexistante, pur objet platonicien aux multiples incarnations.
J'ai toujours eu un rapport bizarre au fractales. Attirance, mais aussi répulsion. Particulièrement pour l'ensemble de Mandelbrot lui-même. Dont je trouve la froide beauté terrifiante comme la mort.
Benoît Mandelbrot dissipe le chaos au profit d'un ordre nouveau. Celui des fractales. Qui sont partout égaux à eux-mêmes à toutes les échelles.
Il émane de ses découvertes un ordre à ce point vertigineux qu'on finit par se demander si le chaos ne lui était pas préférable.
La métaphysique de Mandelbrot nous laisse sans espoir. Partout des fractales, en haut en bas. L'homme pascalien - même l'homme pire que pascalien - perdu entre deux infinis qu'au fond rien ne distingue. Il regarde le plus petit de ce qui l'entoure, et dans ce minuscule grain il trouve encore l'exacte copie de ce qu'il connaît de plus grand. Dans le moindre grain de sa peau, la copie conforme de l'univers par lequel il se croyait englobé. Il n'y comprend plus rien. Tout est dans tout, et lui - pauvre homme - le voilà coincé quelque part dans cet absurde emboîtement qui n'a pas de fin, lui, le mortel, le tellement fini. Folie, folie des fractales en poupées russes.
Je termine avec deux ou trois belles images - des représentations de l'ensemble de Julia pour diverses valeurs de la constante c.
Pour une valeur donnée de c, l'ensemble de Julia correspondant est la frontière de l'ensemble des valeurs initiales z(zz0 pour lesquelles la suite est bornée. La définition des ensembles de Julia est relativement proche de celle de l'ensemble de Mandelbrot qui est l'ensemble de toutes les valeurs de c pour lesquelles la suite n) est bornée, en prenant 0 = 0 .'
L'ensemble de Julia doit son nom au mathématicien français Gaston Maurice Julia (1893, 1978). on l'appelle parfois aussi ensemble de Fatou.
On doit au mathématicien Pierre Fatou (1878-1929) un sublime lemme qui se révèle d'un usage commun pour quiconque a pratiqué un tant soit peu l'intégrale de Lebesgue. Souvenirs, souvenirs...
.'Attention cependant, mes amis! L'égalité, dans le lemme de Fatou, n'est en général pas vérifiée.