Il y a longtemps de cela, j'ai cherché à acheter un écritoire.
Parce que le coeur me brûlait de pouvoir écrire en toute circonstance.
Dans les positions les plus improbables - même au fond d'un lit ou allongé sur un canapé - l'écritoire promettait d'assurer à ma feuille de papier la rigidité nécessaire me permettant d'écrire. J'allais pouvoir écrire partout: grâce à lui, je ne serai plus du tout tributaire des aléatoires circonstances de la vie. Cette perspective me remplissait de joie car plus rien désormais ne m'empêcherait d'assouvir cette volonté farouche.
Quand j'y repense, vingt ans après, je sens que bouillonnait au coeur de ces instants le meilleur de ce que je suis.
S'il me fallait un écritoire, c'est aussi parce qu'à cette époque je découvrais qu'il existe de tristes chambres qui ne possèdent pas de bureau - comme il existe de lugubres maisons sans livres.
Je suis sûr que vous le trouverez bien banal, mon écritoire, et pourtant comme je le trouve beau.
C'est à cause de toutes les fois où j'ai rebroussé chemin parce que j'avais oublié de le prendre avec moi, au cas où...
Se relever dans la nuit pour noter, pour ne pas laisser échapper cette magnifique idée... Se redresser et noter grâce à l'écritoire... A quoi cela sert-il?... Pourquoi se donner tant de mal?...
J'ai lu il y a quelques jours ce passage d'Anna Karénine:
' - Oui, oui, tu as peut-être raison. Mais l'essentiel, c'est que tu sois revenu en meilleure disposition : tu chasses l'ours, tu travailles, tu t'emballes pour des idées. Et Stcherbatski qui prétend t'avoir rencontré sombre et mélancolique, ne parlant que de mort !
- Mais c'est vrai, j'y pense toujours. Tout est vanité, il faut mourir. À parler franc, j'estime fort et ma pensée et mon travail, mais quand je songe que cet univers n'est qu'une plaque de moisi à la surface de la plus petite des planètes ! quand je songe que nos idées, nos œuvres, ce que nous croyons faire de grand, équivalent tout au plus à quelques grains de poussière !...
- Tout cela est vieux comme le monde, mon cher !'
Eternelle vanité de toutes nos entreprises - écritoire entre autres - qui pèsent moins que le brusque envol d'une petite plume glissant sur les airs.
Tolstoï met ces mots dans la bouche de Lévine - son double en quelque sorte - oui mais pourtant il écrit.
Parce qu'il ne peut pas faire autrement que d'assouvir ce besoin vital.
Il ne choisit pas.
Encore aujourd'hui, je le proclame haut et fort: 'Je veux un écritoire'.